Je me précipite presque, il me faut écrire ce qui vient. Demain est mon anniversaire. Le 64ème.
La fin de mon huitième Windu, le huitième cycle de huit ans de ma présence sur Terre dans
la tradition Indonésienne ; Aujourd’hui est le 16, un chiffre
magnifique : 4 fois 4 pour la fin du 8ème Windu, çycle de huit
ans. Huit fois huit et quatre fois quatre. Une fois, une seule fois dans une
vie, une date pareille. D’autant que le 16/7/2018 nous donne seize et deux fois
neuf. Seize. Neuf. Comme une invitation à se saisir. Se saisir du nouveau, du vivant et de tout ce qu’il offre. Une date vraiment très spéciale. Donc je jeûne aujourd’hui,
pour la prendre du bon côté, la vivre de l’intérieur, d’abord. Démarrer le 9ème
en le sentant vivre de l’intérieur, comme une gestation, un accouchement. Je
suis sûr qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. Ce qui vient dans sa vie, c’est chacun qui le
fait naître.
Déjà je me suis libéré de chaînes
que je m’étais imposées, par nécessité dites impératives. Je crois que n'est véritablement nécessaire ce qu'on referait à l'identique s'il nous était donné le choix de le revivre.
Je peux vivre, enfin, qui je suis, totalement libre. En particulier de fêter ce jour comme il convient. Le faire en bossant dans cette entreprise où je n'étais qu'une infime partie de moi-même, celle que j'aime le moins, aurait été impossible, passer à côté, ne rien voir. Là, je peux le contempler, regarder
et vivre cette date comme on fixe un point sur l’horizon ou dans l’espace, pour
en mesurer la distance, en connaître la profondeur. Repérer une trace peut-être ? Je
me sens heureux, pleinement heureux. Satisfait peut être serait mieux à
dire ? Plus exact ? En moi quelque chose chante que je suis plein,
vivant comme une planète parfaitement en équilibre sur sa trajectoire. Qui tourne,
faite de lumière et d’obscurité mais qui décrit parfaitement le chemin qui lui est tracé dans le grand ordre des choses.
Il ne peut en être autrement. En avoir conscience est important. Comme une jubilation secrète.
Ne pas savoir ce qui va suivre n’a aucune importance. Ce qui compte est la
trajectoire et ce qu’on sème. Comme une graine lancée à pleine vitesse qui
rebondit sur des sols, différents à chaque fois et qui, à chaque fois, laisse
une partie d’elle-même pour que quelque chose pousse et advienne. Quelque chose
qui ne nous regarde pas, qui ne nous appartient pas. Nous sommes tous ces
graines propulsées et invitées à participer au grand jeu de la création.
Fragments de conscience qui jouent et s’observent.
1954-1962 – 0 à 8 ans – 1er Windu : Faut s'y mettre, mon garçon!
Premier cycle, premiers huit ans.
L’enfance. J’ai du mal à m’en souvenir. Fut-elle heureuse ? Probablement.
Faite de découvertes et de déconvenues. Je crois que je suis né avec une idée
en tête : ENJOY ! Sois joyeux
et mets de la joie au monde si tu peux.
Je m’imagine enfant, fouinant
partout, le nez en l’air pour deviner et comprendre. Le mettre où ça ne me
regarde pas. M’essayer à mes premières blagues, facéties de gamin, pas toujours
bien prises. Premières difficultés aussi. Souvenirs de maladies
et de traitements obscènes : piqûres et tubes en carton pour m’empêcher de
me gratter. La camisole n’était pas loin. Avant la désensibilisation. Ce nom
est étrange, il sonne comme un programme d’aliénation. C’est vrai qu’il était
trop sensible cet enfant. Allergique au point d'en être à vif. Les douches filiformes seront pour plus tard, le
cycle d’après, doctoresse en tablier de caoutchouc et bottes blanches. Je ne
sais pas s’il y en a que ça fait fantasmer, moi pas avec la peau qui
craque et qui saigne. Rougeole, oreillons… Accidents aussi avec un bras cassé.
Le gauche. Bref, ça démarre cahin-caha, cette existence. Je m'en souviens comme
d’une acceptation fataliste, les révoltes viendront plus tard. Après tout, si
c’est ça la vie, c’est que ça doit être comme ça. La maison de mon grand-père
encore vivant. Mon arrière-grand-mère et ses pots de confiture à la framboise.
Les jeux avec les cousins dans une maison immense et décatie, en ruines mais je ne
m’en rendais pas compte. D’autres maisons aussi, les nôtres. Nous déménagions
souvent, ne faisions que passer au gré des affectations de mon père. Une maladie qui me restera plus tard. Puis un appartement au dessus d'une avenue passante, au tramway grinçant (déjà, il y a soixante ans!) et fortement illuminée à Noël. Puis enfin une maison
pour finir où nous grandirons tous. Des vacances dont il ne reste pas
grand-chose si ce n’est une chute dans un ruisseau à Amélie Les Bains et
l’odeur ineffaçable du figuier qui aura imprimé ma mémoire à jamais. Le Mont D’Ores, La Bourboule et des cures qui ne donneront
rien sinon un sentiment d'abandon et d'oubli.
Un cycle pour m’ancrer dans ma
famille peut-être, m’en familiariser, c’est le cas de le dire. Me préparer à la
suite, bien mystérieuse pour moi à cet âge. Scolarité heureuse et tranquille, pas
vraiment une flèche mais tout va bien merci. « Peut mieux faire » sur
le bulletin. Partie de billes, de foot et d’osselets à la récré. Je me souviens
d’un midi, ma sœur qui devait me ramener à la maison, était en retard, bloquée
avec toute sa classe pour je ne sais quelle raison. On était venu me chercher et je m'étais assis sur l’estrade
face à toute la classe. Toutes ces filles qui me faisaient des signes que je n’osais
regarder. Un monde. J'en garde un souvenir mitigé. Quand je me souviens de moi petit garçon, je me vois plutôt tranquille, dans
son univers pas trop vaste, regardant et observant beaucoup, essayant de
comprendre comment ça marche. Le monde immense, plus loin, me parvenait par
bribes. Par exemple des soirées à écouter l'émission « ça va bouillir » au transistor tout neuf de ma sœur, porte ouverte entre nos chambres. Ou le
lapin Gringoire et ses gages et Salut les Copains sur Europe1 quand on goûtait à la cuisine. L'odeur me vient encore aux narines, mélange de lait, de beurre et de sueur, dont je ne sais si je la trouve agréable ou non. Sûrement pas à l'époque. Je partageais une chambre avec
mon frère. Nous jouions beaucoup et nous engueulions souvent. Faisions l’avion dans les placards, cabane avec les
couvre-lits et disions la messe, souvent, avec un Christ façon Corcovado qui avait
perdu ses mains. Nous faisions rouler les billes à n'en plus finir dans les rainures du plancher,
à rendre fous nos parents qui dormaient en dessous. Au point que mon père
bricolera un interrupteur dans sa chambre pour couper le courant dans la nôtre.
Ingénieux, je me demande encore comment il avait fait. Tous les garçons et les filles de mon âge… chantait Françoise Hardy.
J’étais trop jeune pour être yé-yé mais ça commençait à m 'intriguer.
Un Windu pour commencer, un cycle
pour rire comme on dit de ce qui ne compte pas alors qu’il n’y avait pas de
quoi rigoler. Celui par lequel
tout arrive, tout s’inscrit, tout s’écrit. Mais il m’en reste si peu. Je crois
que mes parents ramaient un peu. Le démarrage dans la vie civile de mon père
qui avait quitté l’armée. La mort du sien. Sa famille qui s’éparpille et la
nôtre qui se cherche. Cette période
garde néanmoins un parfum assez doux et quelque peu mystérieux. Avec des pans
entiers de mémoire oblitérés, je me demande un peu pourquoi et ce qui s’y
cache ? Un serpent sous un fagot au fond d’un jardin. Mon meilleur pote et sa volière immense, remplie d'oiseaux que je trouvais étrange, à la contempler pendant des heures. Et sa mère dont j'étais amoureux, un peu. Je ne me souviens de
rien ou si peu, ni de l’Allemagne où je suis né, ni de notre passage en
Bretagne dans une maison gigantesque ou de Paris où naîtra mon frère. Pérégrinations
oubliées. Mais bon, cela aurait pu être pire comme démarrage.
1962-1970 – de 9 ans à 16 ans : 2ème Windu : Où est l'entrée?
Ce deuxième cycle est plus
compliqué, plus confus et plus tourmenté. Je me cherche et je ne trouve rien
qui vaille. Il faudra attendre sa fin pour que ça s’éclaire un peu.
Bagarres fréquentes, mauvaises, avec ma mère et sa cravache, au point que je regretterai souvent de ne pas en avoir eu une autre (pauvre mère!). Plus rares avec
mon père. On se parlait finalement très peu. Il nous organisait des grandes
balades en forêt où nous faisions des cabanes pendant des heures, jusqu'à ce qu'il fasse froid au point de rentrer. Ma mère était la victime favorite
de mes poissons d’avril et je ne suis pas certain qu’ils aient été à son goût. Corvées
de charbon à la cave en hiver. Jeux sans fin avec mon frère : apprendre le
morse avec un télégraphe reliant sa chambre et la mienne, premiers films
super-8. Il faut que je parle de ce frère cadet : nous étions vraiment très
proches, une vraie paire, faisions tout ensemble. Un Noël, il reçut une petite caméra super-8, un truc très sommaire, genre boîte à savon, nous
en ferons des merveilles. Au même Noël, j'ai reçu pour ma part, une carabine 22 long rifle. Je ne sais pas ce
qu’elle est devenue. Je crois que je n’ai jamais connu un cadeau aussi
encombrant, aussi impérieux, aussi décevant. Une fois épuisée la boite de balles traçantes, je me suis dépêché de l'oublier. Un truc de grand mais pas un grand
comme j'aurais voulu être. C’est à
cette époque, un peu avant vers mes douze ans probablement, que je me suis essayé à écrire un roman de Bibliothèque Verte « Mystère à l’Ambassade »,
une sorte de Club des Cinq ou de Six Compagnons, dont j’avais écrit une
quarantaine de pages avant qu'elles ne disparaissent un jour sans laisser de trace. Premières
suspicions vaines. Je lisais énormément, dévorais tout ce qui me tombait sous
la main, bibliothèque d’enfants ou celle des parents, ce qui m’amènera à
quelques découvertes.
Malgré toutes ces expériences, le
monde m’échappe, comme s’il partait se dérouler ailleurs, j'avais du mal à suivre, ne croisant sa trace que très furtivement, en douce presque. J’ai
l’impression d’avoir loupé mon entrée. Par la mauvaise porte, celle des figurants et tous les
événements se déroulent à mon insu, plus loin. En retard sur tout, à côté de tout. La sexualité apparaît à son tour,
un truc plutôt intéressant qui m’aura occupé quelques heures, sans trop savoir qu’en
faire ni comment s’y prendre. Pas vraiment un sujet pour mes parents sauf pour
mon père qui m’emmènera voir un film d’éducation sexuelle, Helga, tout un programme. Je me souviens de la salle, remplie de papas, de mamans et de mômes qui se
demandaient ce qu’ils foutaient là. Heureusement je n’ai reconnu personne. Je reste
un peu circonspect sur l’expérience. Quant aux copains, je m’en méfiais et je
ne me suis jamais vu me laisser aller à des questions ou pire à des
confidences. Du coup, le monde des filles sortait du brouillard, fantomatique comme une île captivante et mystérieuse dont on ne sait pas par où l'aborder. Tentant, fascinant, avec des parfums
enivrants et des formes que je ne me lassais pas de contempler mais un Annapurna
infranchissable (Annapurna veut dire "Belle Déesse des Moissons"...ça ne s'invente pas). Pas de voie, pas de balise, il faut tout inventer et ce n'est pas rien. La grande épreuve initiatique en fait. Je me
souviens avoir fait demi-tour sur le chemin d’une de mes premières boums, ne connaissant pas grand-monde, ne sachant comment
faire ni ne me voyant danser, n'ayant jamais appris et n'étant pas trop doué pour les gesticulations. Sans commentaire. Je me revois faire le
pied de grue durant des heures devant la maison d’une amie que je trouvais très
jolie, espérant l'entrevoir, espérant qu'elle sorte... Ne sachant pas trop ce que j'espérais, à vrai dire. Rue du Profond Sens. Ça sonne plutôt chic et très chinois mais la
réalité était plus prosaïque : Une cense
est une ferme dans le patois du Nord. Et ça ne sent pas toujours très bon. Je m'étais fait traiter de censier plus d’une fois dans mon premier cycle, à
cause de ma « peau de lépreux » (Plus tard, ma fille aînée aura
droit aux mêmes friandises). Peau qui m’aura valu une année scolaire entière
assis à côté d’un autre paria, un censier à l’odeur prenante
et tenace. Je me souviens encore de son nom mais préfère le taire.
Je me faisais cogner dans la rue sans raison, les "bullies" m’attendaient à la
sortie du collège, m’obligeant à de très grands détours pour rentrer chez moi.
Autres accidents, fracture du crâne lors d’une course à vélo, jambe
cassée à ski lors d’une balade avec une fille dont j’étais amoureux… La totale.
Un jour, ma mère a transformé
notre maison en maison de Marie Claire, une bicoque œuvre d’art où elle organisait des expositions de peinture, où nous avons perdu tous nos repères,notre repaire. Une maison à visiter, pas à habiter. A partir de là, tout s'est effiloché assez rapidement. Je jouais au tennis, passablement, j’apprenais l’escrime,
médiocrement. Je nageais moyennement. Bref, je pataugeais, superbement. Mon
père qui avait tout compris et qui avait dû passer par là m’offrit une
mobylette. Un magnifique vélomoteur Peugeot, bleu comme une porte ouverte sur la liberté, des balades sur des routes sans fin à travers champs, commençant au soleil et finissant sous la pluie. Seul, puis avec un pote puis surtout avec cette même amie, toujours aussi jolie, dont j’étais toujours très
maladroitement amoureux et qui donc l’ignorait ou faisait semblant, ce qui
n’était pas du tout la même chose mais j’étais trop jeune pour le savoir à
l’époque. Mon père ira même jusqu’à l’inviter à une soirée avec nous au théâtre à Paris. Un voyage énormissime de sens, au pluriel et dans tous les sens du
terme et dont pourtant je ne me souviens qu’à peine. Une soirée horrible à ne
rien voir de la pièce mais tout entrevoir d’elle et surtout tout voir de mon
impuissance à m’attaquer enfin à l’Annapurna que mon père dans sa tendresse
avait mis sur le pas de ma porte. Il ne se passera rien, je suis resté au camp de base et en garderai
longtemps une sourde détestation de la montagne.
Enfin la mer
arrive, je veux dire le bateau. D’abord le dériveur puis la croisière.
Un monde nouveau, un rêve immense totalement éveillé ; Un truc improbable
auquel rien ne me préparait, un autre monde, totalement inattendu où je me
révèle enfin. Je me réveille pour ainsi dire. Une porte grande ouverte sur qui je suis, qui je peux être. Quand le monde, le vrai, devenait
dur, complexe, fuyant, celui-là s’ouvre, s’offre, magnifique, immense et bienveillant.
Où je vais exceller. Je gagne toutes les régates de dériveur que je fais la première
année, je m’éclate à découvrir un type qui réussit, qui comprend
ce dont il s’agit, que les gens apprécient. Les copains qui veulent embarquer
avec moi, pour le plaisir et pour la réussite. La croisière qui vient ensuite,
la mer en univers, un monde de contemplation, de calculs, d’action,
d’anticipation. De trouille et de courage aussi. Un monde à plusieurs mais en modèle réduit. Un monde de voyage
et d’itinérance, un monde plein de projets. Ce cycle finit décidément mieux qu’il n’aura commencé.
1970-1978 – de 16 à 24 ans : 3ème Windu : Sur-vitaminé!
Ce cycle là sera celui de la mer.
Du bateau. J’en dessinerai, sans fin, collectionnerai revues, plans, rapports
d’essais. Vivrai de croisière en croisière, offrant mes services d’équipier sur
les ports, convoyant mes premiers bateaux avec mon frère. La mer dans tous ses
états. Les nav’ en toutes saisons, de nuit comme de jour. Le sapin en haut du
mât à Noël. L’arrivée à Fowey en Cornouailles avec les anglais qui s’occupent
du bateau pour qu’on aille se réchauffer derrière un grog. L’eau partout, même
dans le duvet. Les miles et les miles qu’on engrangeait. Pourquoi ne suis-je pas devenu architecte naval ? Tout me criait "tu es fait pour ça". Je ne pensais
que bateau. En lieu et place, mes projets professionnels s'égaraient dans le supérieur : ex- futur ingénieur Supelec (particulièrement médiocre en maths, j’abandonnerai vite cette chimère), la Marine Marchande à Ste Adresse ? Une
faiblesse dans l’œil gauche m’en écartera. En fait, rien de tout cela ne m'attirait, ce que je voulais était m’échapper, fuir un monde dans lequel je n’étais pas
vraiment entré. Un projet d'expédition polaire "sur les traces de Charcot" dans la péninsule Antarctique fera la synthèse de tout ça. Le Grand Projet, le projet qui occupera toute ma vie de l’époque. C’était rejoindre l'épopée des
grands voyages en voilier, la découverte de la voile au long cours avec des
Moitessier, des Poncet et Janichon, des Miles Smeeton et tant d’autres. La collection Artaud dans la bibliothèque. La rencontre de mon pote, de mon quasi-frère Thierry aux EPF, les Expéditions Polaires Françaises, où lui aussi
préparait une expédition. Qu’il réalisera, lui en revanche… Une créativité
endiablée mais orientée dans un seul but : partir. Lauréat de la Fondation
Leclerc, parrainage de la fille de Charcot, sponsoring de Miro Company (le bateau devait s'appeler Monopoly), mon jeu sur la mer publié, tout cela m’apportera une petite
fortune à l’époque : près de 100 000 F que j’investirai entièrement
dans le bateau dont la construction avait commencé. Un pas énorme vers une vie rêvée.
Au milieu de tout cela, la
découverte des filles puis des femmes. Un chemin tortueux, assez bref alors
qu’on le voudrait voir durer, recherche d’absolu impossible à trouver… Un choix
d’études par défaut (« le commerce ça mène à tout »), un peu de
cinéma, des sélections aux festival du film Super8 avec mon frère et le Ciné
Club de l’Ecole. Ce troisième cycle me donne un sentiment de vitalité
totalement débridée, profonde, exubérante, pleine de découvertes et
d’ expériences. Un souvenir à la fois joyeux, décidé, divers, à surfer sur
plein de vagues, certain d’avoir fait le bon choix, avoir trouvé ma voie.
Partir en mer sur un voilier. Tourner comme on disait. Même le service
militaire avait été utile: la Marine Nationale, au courant du projet
nous donnait plein de matériel, de cartes et de rations de survie…Une vitalité
magnifique, effervescente, invincible... qui s’achèvera en déroute totale, l’abandon du projet
par départ de mon frère et l’impossibilité de le remplacer. Le voulais-je vraiment ?
Un sentiment étrange de réussite inaccomplie, d’illusion finalement ? Tout ça pour ça ? Huit ans de vie passés par pertes et profits, dont il
ne reste pas grand-chose, Pour ainsi dire rien, seulement savoir et aimer naviguer. Un crash somptueux, une première mort en apothéose.
1978-1986 – de 24 à 32 ans – 4ème Windu : Renaître
Du coup, le 4ème cycle
sera compliqué. Il a fallu se reprogrammer, réinventer la vie à partir de très
peu. Il commence par une année ou presque d’ascèse, de vide complet en
Normandie chez un couple de chercheurs ésotériques. Puisque je n'arrivais pas à ouvrir la porte de ce monde, j'allais en essayer d'autres, ceux qu’on ne voyait pas. J'étais décidé à me sortir de ce monde qui ne voulait ni de moi ni de mes
projets. Une petite mort, une
vraie, plus rien en soi ni en dehors. Le grand vide sans identité, sans repère et sans force.
S’essayer à d’autres énergies, à ce que j'avais présumé, supposé pendant longtemps, être un monde à côté. En pures pertes. Encore. J’y ai perdu quelques dernières bribes d’illusions et, si ce n'avait été une lettre de mon père, bourrée de bienveillance avec une promesse de bières au frigo pour toute conclusion, je ne sais trop comment tout ça se serait terminé. Peut-être dans une bière au frigo. En tout cas, cette lettre m’a tiré de là et fait revenir sur Paris, hirsute,
barbu, puant le bouc et la crasse, bref un mendiant repoussant après sa longue traversée du désert. Mes parents m’ont accueilli d'un bon bain et restauré
comme on dit d’une ruine. Alors a commencé la grande errance professionnelle et
affective. Une multitude de riens dérisoires et douloureux. Comme disait
l’autre, trois fois trois fois rien, ça fait rien de neuf. J’errais dans le
rien. Avec la présence de mon père par intermittences comme on dirait d'un phare à éclats.
Il m’aura fait le magnifique cadeau de me permettre de tourner mon
premier film, un moyen métrage de promotion du
fibre-ciment (eh oui). Ecrire le script, recruter l’équipe et le réalisateur,
la magie du tournage et autant pour le montage. La bande son qui vient
couronner le tout et densifier la trame. Un bonheur, un îlot de
bonheur dans un océan d’incertitude. La présence de ma mère
aussi, dans un autre domaine, qui me fit découvrir, apprendre, bosser
l’astrologie. Pas toxique mais pas franchement utile.
Un curriculum vitae criblé de
trous comme un carton de tir à la foire. Tellement foireux. L’indication
parfaite que si je voulais me débrouiller dans la vie professionnelle, je ne
devais m’en prendre qu’à moi-même. Les échecs affectifs succèdent aux désastres professionnels, toutes relations de pas grand-chose qui ne mènent nulle part. Expériences
sans lendemain qui laissent le souvenir doux-amer d’un fruit exotique dont on
ne sait pas très bien si on aime ou pas. Un truc étranger qui ne correspond à
rien de franchement vital alors qu'on croit y donner tout de soi. Autant le cycle précédent regorgeait de vie et de projets, autant
celui-ci sonne vide et creux. La réalisation patiente et appliquée d’un autre jeu, sur le Yi-King cette fois, le combat de paysans contre le fleuve en Chine dont la superbe maquette fut « perdue »
par la société d’édition. Tout ça parce que j’étais amoureux d’une nana qui apprenait
le Chinois. Puis le chômage, déjà. Enfin la décision prise par surprise, au détour d'un ultime errement. Recommencer. Recommencer à vivre, à grandir, à bouger. Recommencer un cahier neuf. Tourner la page, faire face au lieu de continuer à tout foirer.
Reconstruire ma vie au lieu de la regarder s’effriter. Après plusieurs jobs
soi-disant créatifs (agences de promo et de com’) je décide donc de faire un MBA
pour repartir de zéro. Financé en partie par le chômage et en partie par un
emprunt. Dossier accepté par miracle. Ces études m'ont construit : bosser comme un fou, échanger,
avancer, prévoir, ne pas regarder le passé et son brouillard fumeux. J’avais 26-28 ans
et j’avais connu l’échec (singulier bien pluriel). Et alors ? Je m’en fis une force comme je me fis
une force d’avoir déjà bossé, au milieu de tous ces étudiants qui n’avaient
connu que les études. Moi j’avais l’impression d’avoir
déjà une vie complète derrière moi. Cela m'a déterminé: Je ne serai plus jamais le fruit de mon passé même
si je ne savais pas trop ce que l’avenir me réservait.
Ce fut d'abord Brianne. Rencontrée dans le premier job que je trouvais une fois mon diplôme en poche. Puis ce sera Subud et le latihan, rencontrés grâce
à mon pote Thierry que j’avais retrouvé, hasard (?) de la Vie. Ce cycle aura été absolument incroyable :
commencé comme une mort, il s'achevait comme une vie. D’autres suivront qui
auront exactement la même forme.
1986-1994 – de 32 à 40 ans – 4ème Windu : Exprimé effervescent!
Ce cycle va être exceptionnel,
totalement miraculeux. Il commence par mon mariage avec Brianne, pile au début, presque . Une fête si joyeuse, si
simple. Si profonde sans que nous l'ayons réalisé à l’époque. Une promesse longue qui
sera tenue. Ma vie commence aussi au plan professionnel: des bureaux rue de Rochehouard puis rue de Paradis. Des instants où tout est écrit, tout ce qui est à vivre, tout ce qui est à comprendre, à tenir et il
faut une vie entière pour le dérouler . Exactement comme pour le
latihan : on reçoit tout d’un seul coup au premier exercice et on passe sa vie à le
décortiquer. La vie explose de partout : enfants qui viennent, amis avec
qui on partage la vie, une maison, un métier qui s’invente et se construit.
Libre et décidé. Une vie légère dans les épreuves qui ne manquent pas mais qui ne marquent pas, une vie
déperlante en quelque sorte. On a l’impression de passer au travers des
gouttes. La vie facile avec trois fois rien. La
sensation d’y aller, de ne pas faire semblant. M’engager à fond, toujours à fond, dans une vie
différente et prometteuse. L'expérience spirituelle du latihan y est pour beaucoup, fenêtre ouverte sur
un paysage inconnu et dont il est difficile de se souvenir des contours. Les enfants nous nourrissent, nous écartent et nous
augmentent. Une conscience qui s'étend et grandit, forgée par l'expérience. Des choses se révèlent qui s'enracinent. Je commence à comprendre.
Une vie pleine de bulles, de
hauts, de bas, de vitalité retrouvée. La créativité partout. Entreprises,
projets, responsabilités acceptées, en famille et dans Subud. Le projet Music
Point mené à son terme avec Thierry et Maya, un succès magnifique et joyeux,
tellement facile, étonnamment facile. Un cycle de mouvement et
d’approfondissement. Comme le début de la vraie vie, comme si, avant, c’était
un exercice. Je me souviens d’avoir eu la sensation d’avoir déjà tellement
vécu. Une régénérescence en marche. Un cycle puissant qui allait s’achever en
catastrophe. Une autre mort. Professionnelle, encore.
1994-2002 – de 40 à 48 ans - 6ème Windu : Échappée
Je ne savais pas comment
l’appeler, ce cycle qui commençait si mal. Je crois que c’est pas mal trouvé.
ça résonne Tour de France, le repère de mon anniversaire pendant les vacances
d’été quand j’étais plus jeune. Mon père nous y emmenait et je comptais les
étapes qui m’approchaient de la date attendue. Ce cycle, puisqu’on parle de
vélo, commence par une chute, ça tombe bien si l’on peut dire. Il y en a aussi sur le Tour. La fermeture de
mon agence de com’ et la somme colossale d’emmerdements financiers qui vont
avec. Cette agence était construite sur du sable, des illusions, des contrats
qui n’en étaient pas, des clients sans vergogne et au premier coup de vent elle a
dégagé. Un château bouffé par la marée. A nouveau plus rien, sans rien (dès le début, Brianne avait lâché sa carrière pour s'occuper des enfants). Le
grand vide professionnel et financier avec quatre enfants à élever. Les nuits blanches, la trouille au ventre sans discontinuer, mais il faut avancer. Le coup de pot, le miracle diront certains avec raison, la vente de Music Point arrive à point nommé et tout l'argent passe à payer les dettes de la boite que j'avais coulée. On s'en sort tout juste. Puis la vente de la maison et, à nouveau repartir de zéro. Salarié, pour se refaire une santé, dans une boite où je n'ai rien à
faire. Rien qui me ressemble. J'y suis une espèce d’étonnement pour eux, une aliénation
pour moi. Un miracle sur ma route pour m’aider à me refaire. Mais l’enfer ce
n’est pas les autres quoiqu’en dise le poète. L’enfer, c’est ce qu’on accepte de vivre et
qui n’est pas soi, qui est autre que soi. Je l'aurai vécu pendant trois ans, le temps de reconstruire un minimum de sécurité financière. Et la vie est revenue, la créativité
aussi. Internet que j’ai vu arriver comme un miracle, quelque chose qui me
correspond totalement, une révolution que je comprends, que je peux m’approprier. J’en fais une entreprise, une autre, avec les clients qui vont
avec et qui ont confiance. J’en fais une start-up aussi, un truc éclair qui se terminera en une autre catastrophe. Un accident de
vie qui en porte une autre en gestation. A cause de cette histoire qui a mal commencé et très mal fini,
nous sommes partis en Angleterre, vivre le plus beau moment de notre vie, pour
toute la famille. Tous les 7 (autour de nos maintenant cinq enfants) nous y vivrons une vie invraisemblable de découvertes, plus forte, plus vaste, plus impliquante.
Comme si l’intensité du vivant augmentait.
Nous avions fait plusieurs tours dans l'ascension hélicoïdale. Nous avions largué les amarres,
tout quitté. Espérant ne plus rentrer. La vie en décidera autrement mais ce
n’est pas grave. On apprend. Ce cycle là aura été d’une richesse et d’une
intensité inouïe, comme une apothéose de tout ce qui peut arriver pour peu qu'on dise oui, pour peu qu'on accepte de se laisser faire par la vie. D’autres
responsabilités en Subud, d’autres maisons, d’autres chemins. Brianne à mes
côtés, nous avec les enfants qui veillent au grain. J’ai toujours eu
cette sensation de cette protection par les enfants. Il ne pouvait rien nous
arriver dans tous ces mouvements de vie, ces vicissitudes comme on dit, La vie, c’est comme la mer, c’est vivant (oui la vie c'est vivant!), c'est puissant, c’est brutal parfois mais si on se laisse porter par les événements, on bouchonne et on
arrive toujours quelque part.
De la vie, des petites morts, des
combats, des joies, des tentatives, des échecs et quelques réussites… Une
intensité incroyable. Bien sûr, à nouveau la catastrophe pour conclure, bien sûr mais c'est sans importance. Je m'étais habitué à mourir en quelque sorte. La mort, finalement ce n'est pas grand-chose, il suffit de traverser. Le retour en France
avec rien ou presque. Parce qu’on ne vit pas que de miracles, ce serait trop facile, il
faut y mettre du sien. Chaque fois que je ne mets pas assez de moi-même, chaque fois que je me limite par des calculs et des supputations, ça s’effondre. Pour vivre, il faut se sortir les tripes. La vie est un maître très très exigeant. Dur dans l'apprentissage. Cela me
rappelle un dicton que j’ai inventé comme une sagesse ancienne : quand la vie
veut donner une leçon à quelqu’un, elle lui accorde ce qu’il souhaite.
2002-2010 – de 48 à 56 ans – 7ème Windu : Amplification
Ce septième cycle commence donc à
Toulouse. Autant dire aussi ailleurs que possible quand on vient du Nord et de
l’Angleterre. Pays du vent d’autan, celui qui rend fou, des gens en tongs brusques, de la terre brute et à
l’histoire chargée de violence et de douleur. Une ville dite rose, mais si dure, brutale, révoltée sans cesse, au calme impossible et pourtant entourée d'écrins de tranquillité comme le Lauragais, le Tarn, ifs et cyprès qui se jettent vers le ciel et se donnent des airs de Toscane. Un pays où la crasse peut vous sauter à la figure, violente et au verbe trop fort,
un pays d'invectives où tout le monde a toujours raison, un pays étranger où, une nouvelle fois, nous allons refaire une vie. Le
grand retour, le saut dans l’inconnu, la vie qui ne tient qu’à un fil et qui
recommence. Toujours par miracle. La vie qui renaît là où il n’y a rien. Je façonne un autre dicton, façon ancienne: "la vie, c'est ce qui est possible quand tout te dit que ce ne l'est pas". Une vie tenace
qui s’impose, qui refleurit dès qu’il y a trois gouttes. Cette vie comme une
graine qui se pose et pousse, a forgé mon émerveillement, il s’impose, il
grandit, il est inévitable. Nous ne sommes que des instruments. On s’agite, on croit agir, mais c’est le grand vivant qui est à
l’œuvre, qui est à la manœuvre. Il prend toute la place. Le vivant inévitable.
Arrivés à Toulouse avec toute la famille et rien, rien que des dettes (j'avais emprunté pour payer le déménagement et financer trois mois de vie), le miracle prend cette fois la forme d'un entrefilet dans un canard gratuit comme on en trouve dans tous les aéroports: on y annonçait la création d'un incubateur de start-ups. Les start-ups, je ne connais que ça. A peine arrivé, j'en rencontre le patron et obtiens une promesse de contrat. Je l'attendrai deux mois pile (pendant lesquels les nuits étaient courtes). Le paiement de ma première facture arrivera exactement au moment où nous n'avions plus un sou. Talk about a close shave! comme disent les anglais. A partir de là, la renaissance sera rapide comme en terrain fertile. Quelque chose de plus stable,
solide, la fin d’une errance. Planter un arbre robuste plutôt que des
arbustes. J'en garde la sensation d’une progression inébranlable. D’avoir appris
quelque chose. Le vivant sédimente, ça peut grandir. Oh, les difficultés ne sont pas
absentes, mais elles glissent, à nouveau, sur le déperlant du vivant. Quelque
chose s’installe qui ne pourra plus nous être retiré. Ma vie avec Brianne
s’approfondit jusque dans des étages inédits. Quelque chose de très mystérieux
et très discret. Quelque chose qu’il ne faut pas comprendre. Simplement vivre, témoigner et respecter. De plus en plus souvent me vient qu’il n’y a rien à
comprendre. Il n'y a que des expériences à vivre. Pour compléter, apporter sa pierre au
grand jeu du vivant. S’il faut comprendre quelque chose, cela sera donné. Plus
tard. Un jour.
Nous sommes à nouveau
propriétaires de notre maison. Pour la troisième fois. On a du mal à y arriver mais c'est un chemin. Un autre. Je découvre par diverses occasions que si je ne peux pas être
moi-même, dans la totalité de mon intégrité, de mon alignement propre et avec les
autres, je m’en vais. Je vais faire autre chose. Une fidélité énorme à moi-même
sans qu’elle soit obsessive me guide de l’intérieur. Un alignement comme un
phare qui serait vertical plutôt qu’horizontal et qui me mène à bon port.
Le business prospère avec des
contrats solides. Bref, tout grandit. Les enfants aussi. Les premiers quittent
la maison. Une nouvelle ère commence doucement pour nous, le basculement dans
autre chose. Un événement majeur pour nous qui avons tout construit autour de
la famille, de la tribu. Pourtant la suite va arriver tellement vite.
2010-2018 – de 56 à 64 ans – 8ème Windu : Bifurcation
Ce dernier cycle à date aura été celui du changement.
Une accumulation de changements. Nous avions cessé de déménager mais les
changements se succèdent, parfois brutaux. Des épreuves viennent, sur le plan
matériel, même sur le plan familial où des ajustements se font, des questionnements
vont naître, par exemple avec une de mes filles qui me fera comprendre en profondeur qui je suis, les schémas dont j'ai hérité, qui me tordent et font du tort autour de moi. Un
passage à gué qui ne l’est pas. Un cheminement à comprendre, une image de soi
qu'il faut abandonner. Une entreprise qui ferme, une autre qui ouvre pour s’arrêter à
son tour. Comme le vent, le vivant a tourné mais je tarde à m'en rendre compte. Du coup la navigation devient hasardeuse. Une fois encore, portés par la vie, nous passerons le cap indemnes. Avec l’aide des enfants qui
ont commencé à gagner leur vie. Une succession de tests, une page
professionnelle qu'il va falloir tourner pour de bon et qui, de toutes les façons, semble vouloir se fermer toute
seule. La vie qui me dit "tu auras beau cogner à la porte du business, elle restera fermée. Passe à autre chose." Un être qui s’affermit en moi, quelqu’un d’autre qui grandit et qui est moi malgré tout. Une confiance en profondeur. Il y a un endroit en soi où on ne risque rien. Un endroit sous la surface,
sous l’effervescence des choses où on est en sécurité. Nous sommes notre propre sécurité. Il ne faut pas aller la chercher ailleurs. Se rassurer par ce qu'on possède, ce qu'on croit, ce qu'on dit n'a aucune importance, bien peu de valeur après tout. On ne l'emmène pas avec soi Des choses très importantes m'auront été révélées, auront été mises à l'épreuve, comme mon lien à Brianne. Comme celui à mes enfants, comme
la présence de ceux qui s’éloignent. Faire peau neuve, littéralement, le corps apaisé enfin, libre de ses malédictions. Jamais je ne me suis senti aussi bien. Une succession de
noirs et de blancs qui ne font pas du gris mais toute une palette de couleurs.
La vie qui donne, la vie qui prend. Des choses simples que les anciens avaient
compris avant que la technologie vienne tout masquer de ses mirages. Des hauts
et des bas et la vie qui avance. La découverte de l’écriture, les quatre livres
qui sont déjà venus et d’autres qui attendent et grandissent. La découverte du
Chemin de Compostelle que nous avons mené à son terme, jusqu’à Finisterre.
Ce cycle m’aura énormément
appris, fait comprendre beaucoup de choses alors que tant reste à découvrir, à
connaître. Ce que je porte, ce que j’ai vécu. Ce qui importe aussi. Je commence
à percevoir comme une forme diffuse en préambule, cet être qui me
précède et que je suis. Une capacité tranquille, nouvelle et apaisée d’être qui
je suis. Libre de ce que j’ai voulu croire, de ce qu’on a voulu me faire croire
par le poids de la bienséance, des usages, des principes et des liens qui aliènent avant
d’unir. Toutes ces protubérances ajoutées qui empêchent de voir la beauté que
nous sommes. Enfin libre des carcasses. Par exemple, je ferai une découverte, énorme. Un des fardeaux que je portais me venait de mon arrière-grand-père, mort à Verdun. Cette trace comme une empreinte, une fondrière plutôt qui, quoi que je fasse, orientait mon chemin. Cette prise de conscience va changer beaucoup de chose. Libérer des énergies, des routes. D'autres prises de conscience sont à venir, sur l'éducation reçue et d'autres traces encore, d'autres ornières qui m'écartent de ce que je suis. J’achève
ce cycle, libre, fort et paisible, c’est tout à fait étonnant, comme si j’en
avais fini avec la grande lessiveuse. D’autres épreuves et d’autres joies
viendront, c’est une certitude, mais elles ne me forgeront plus. L’outil a pris
sa forme, c’en est fini du temps de la forge, l'outil peut servir à ce pour quoi il
est fait. Libre, fort et souple. Créer ce qui doit l’être, aller le chercher en
soi, lui donner forme et ignorer le reste. Apprendre encore, bien sûr mais en finir avec les certitudes, avec les convictions. Vivre
en paix avec les autres et avec soi. Redécouvrir ce qui a été su et qui
importe. Se méfier des chimères qui se veulent belles mais qui sont si laides
quand on les regarde de près. Tailler sa route en pèlerin ou en
marin : le meilleur est bienvenu, le pire peut survenir, je prends ce qui
vient.
Tous ces windus sont comme les
chapitres d’un livre à épisode. Un livre bien fait où le suspens est total, où
on ignore ce qui advient du personnage à la fin du chapitre. Une succession
incroyable de morts, de vies, de pleins et de vides. Comme un ressac tenace au
bord de la mer : la force des vagues et la mousse de l’écume chassée par
le vent mais l'eau revient sans cesse se colleter au rocher. Toute la puissance et l’énergie du vivant. Face aux éléments, on est
si peu de chose. Je ne cherche ni à recevoir, ni à donner. Juste témoigner,
vivre ce qui viendra. Dans la plénitude de ce que cela peut être.
Merci à la vie de m’avoir mené jusque-là.