mercredi 11 février 2015

Patos

Hier, j'ai rencontré quelqu'un qui se disait catholique. Ni excité intégriste, ni particulièrement désinvolte. Quelqu'un de posé, de réfléchi, ayant beaucoup lu avec juste ce qu'il faut d'incertitude sur tout ça, qui vous parle tranquillement de sa foi et avec qui, donc, il est possible d'échanger, un peu, sur ce qui nous dépasse. En fait, une fois encore sur ce sujet, je réalise que l'échange s'épuise assez vite, comme deux joueurs découvrent que, sous le même nom de jeu, se cachent des règles très différentes. On passe son temps à rectifier des malentendus, à découvrir des impasses. Et là où le plaisir pourrait être, comme la joie des retrouvailles d'un cousin, d'un frère pas vu depuis longtemps,  il ne reste finalement qu'un échange sur comment il faut jouer. L'impression d'être un voyageur du temps, très exactement, revenu voir ses ancêtres et tenter de leur dire comment ça marche, comment ça peut être quand on a dépassé ce qu'on croyait être d'immuables vérités, ce qui nous a été transmis comme tel. Par exemple, l'incroyable beauté puissante, aimante, efficace et tranquille qui s'y cache. Sans doute l'impression qu'Il a eue quand il leur a parlé et qu'ils n'ont pas compris grand-chose.
Par exemple? oh, un truc très simple en apparence, une déclaration qu'il m'a faite, en toute tranquillité, en immense certitude:  "La révélation est close". Oui, ce serait fini, c'est du moins ce que mon interlocuteur m'a dit, comme un dogme fondateur de son Eglise: il y a eu Lui, fils de Truc (on y reviendra) et depuis, fini, le Créateur ne parle plus à ses créatures. Quant à Mahomet, le Prophète des Autres? Oh, lui, on s'y intéresse à titre historique ou littéraire, mais l'oeuvre qu'il nous a laissée est trop compliquée, fauteuse de troubles plus que de sérénité. Sans parler des autres, des Bouddha, Confucius considérés comme non "révélés" donc non révélateurs. Exit le Nirvana... Tout est dit: nous sommes les derniers, nous sommes les seuls, les ultimes. Donc, il y a intérêt à croire ce à quoi nous croyons, parce qu'il n'y aura rien derrière. Du genre conseil maternel avec juste ce qu'il faut d'inquiétude transmise avant de partir en voyage, par exemple à l'étranger: "mange à ta faim parce que tu ne sais pas quand tu mangeras à nouveau". Elle n'a pas dit "ce que tu mangeras" mais tout le monde l'a entendu.

En discutant un peu autour de l'énormité, j'ai découvert deux choses. La première est que ce n'est finalement pas le Créateur qui importe pour une religion, mais plutôt son messager, quel qu’il soit. J'ai tenté de démontrer le non-sens d'une révélation "close" soit-disant: s'il y a un Créateur et que ces Prophètes parlent en son nom, pourquoi se tairait-il au bout d'un temps? Il n'aurait plus rien à nous dire alors que tout part à vau-l'eau? Le grand silence "maintenant, débrouillez-vous tous seuls, moi je me tais." Du genre créateur qui ne parle qu'au passé, qu'aux ancêtres. les seuls qui vaillent, les seuls capables d'entendre peut-être? Maintenant, c'est fini, il se tait? Il ne serait pas capable d'en trouver au moins un ou une suffisamment douée d'écoute pour lui transmettre une ou deux petites choses utiles pour les temps que nous traversons?
Il suffit de réfléchir un peu, juste ce qu'il faut,  hors des dogmes et des croyances fabriquées autour des quelques messages qui nous sont parvenus intacts, pour se rendre à l'évidence, pour comprendre combien ce peut être faux. Il y a là une contradiction dans les termes, une imposture qu'il faut crier, contre laquelle il faut lutter. S'il y a un Créateur, il ne peut que continuer de parler, d'échanger avec sa création (ce que nous faisons toutes et tous, par ailleurs, à notre niveau), il ne peut en être autrement, surtout si on s'interroge sur la notion de temps. De plus, une telle affirmation empêche de saisir et de voir que tous les jours, chaque seconde, la création nous parle, qu'il y a comme une conversation intime, à notre insu le plus souvent, entre tout ce qui existe, tout ce qui est créé.
Donc personne, jamais, ne peut prétendre être le dernier ou la dernière à qui il aurait parlé. Ni le seul. Jamais. Le prétendre serait nier l'idée de Créateur. Donc les religions ne disent pas la vérité, toute la vérité. Des images me viennent, irrésistibles et malheureuses, accrochées à ces dogmes qui empêchent de réfléchir, de se laisser faire par des compréhensions qui nous seraient données, qui empêchent de bouger.

Mensonge! C'est un mensonge. Pour ma part, tout ce que les hommes ont construit avec le temps autour de ces passages miraculeux d'hommes (et de femmes aussi dont on parle si peu) inspirés par le Créateur, frôlés par quelque chose et capables de nous le retransmettre intact, touchés par l'au-delà, oui, toutes ces lois et ces normes édictées comme des règles, ces religions immobiles dont le message vient d'avant, figé, trafiqué, dénaturé avec le temps, tout cela ne peut être vérité. J'ose la croire plus vaste, plus belle, plus accessible à tous et à toutes que nous sommes. Plus engageante aussi?
Bien entendu, si j'ose dire, le Créateur parle encore. Bien entendu. Plus que jamais. Simplement, par la force des choses, il parle ailleurs, autrement, à d'autres, tous les autres, à toutes celles et ceux qui entendent. J'aime à l'imaginer bavard, même s'il chuchote un peu. Imaginez-vous un instant à sa place (il y a quelque chose d'immensément joyeux dans cette formule): Si vous aviez quelque chose à dire d'important, choisiriez-vous une antenne, un média, dont vous sauriez qu'il dénaturerait ce que vous auriez à dire? Probablement non, vous chercheriez autre chose, et trouveriez tant d'autres moyens à votre disposition. Par exemple, un paysage par une nuit de pleine lune, des contes pour enfants, des histoires susurrées par le vent, un film, une chanson, un blog par exemple ou mille ou une conversation à deux. Sans doute, sauriez-vous finalement que le silence est ce qui parle le mieux de vous, pour vous. Le nombre de celles et ceux qui écoutent importe peu, nous avons le temps, c'est nous qui avons créé tout ça.

La deuxième chose que j'ai découverte (ah! cette conversation fut très instructive!) c'est qu'en fait,la foule de ceux qui se disent religieux sont amoureux de leur religion, avant tout, bien avant tout le reste. Ce qui leur importe, semble-t-il, est ce qu'ils croient, ce qui leur a été transmis. Finalement pas ou très peu, ce qu'il y a derrière, ce qu'il faut chercher, découvrir, deviner, plutôt que croire. Cette découverte-là a été la plus vive, comme une illumination en creux, un espace qui se crée, qui explique beaucoup de choses mais qui ne rassure pas, tant l'écart est profond, tant il nous creuse, tant c'est enraciné. On est si proche de l'abîme. De tous ces morts en quantités immenses qui croyaient différemment ou qu'il fallait convertir.
Alors, il serait inutile de tenter de revenir au message, à ce qui a pu être dit, revenir à ce qui aurait inspiré ceux qui parlaient en son nom. Dans cette conversation comme, je crains, dans toutes les religions, Lui (ou Elle ou Ce) ne serait finalement qu'une sorte de contexte, un prétexte, un décor presque. Ce qui importe est ce qu'on croit de lui, ce qu'on en a compris. Comme si les gens s'écharpaient, que dis-je, s'entretuaient autour du fait de savoir si c'est France Inter ou Europe, le Figaro ou Libé qui a raison quand ils rapportent un événement quelconque (ceci dit, on est bien obligé d'admettre que cette absurdité existe!). C'est exactement là où nous sommes. N'est-ce-pas totalement pathétique? Nous sommes en plein pathos, en plein patos pourrait-on dire.
Ce qui importe serait le media? Mc Luhan aurait donc raison et je ne sais pas trop si je dois m'en réjouir. Il y a là matière à réflexion cependant: si la création est un media, quel message porte-t-elle? Que nous est-il donné de comprendre de sa puissance, de sa diversité, de son ordre et de sa beauté?

La troisième découverte de cette conversation est celle que je lui ai proposée; la science se rapproche du Créateur, elle est en approche constante à défaut d'uniforme, de cette vérité asymptote, cette idée qu'elle s'est interdite (elle s'est en particulier  construite  en opposition avec l'idée de créateur): elle s'en rapproche indéfiniment sans jamais la rejoindre. Il me plait de croire, d'imaginer ce que sera le monde quand la science se sera mise en paix avec cette possibilité. Qu'elle l'intègre tranquillement comme une hypothèse, une de ces hypothèses qu'un chercheur suffisamment fou peut faire et qui réunit tout ce qui était séparé avant. Je pressens que c'est par la science que les choses pourraient se passer, un moment où ce qui est esprit se rejoint. La mécanique quantique touche dorénavant à des dimensions métaphysiques d'une profondeur telle qu'on est pas loin de traverser le mur, ce mur de Planck où tout ce qui est connu s'arrête. Nos esprits sont-ils prêts à cela?

Ce qui me fait rire, et j'en terminerai là-dessus, est qu'en réponse à cette hypothèse que je fis à mon interlocuteur d'une relation au Créateur par la science, hors des dogmes, hors des religions, je reçus la réflexion suivante "Oui, peut être, mais la mécanique quantique est beaucoup trop complexe pour les gens". N'est-ce-pas admirable? Magnifique? Tant ça en dit long sur tout ça? tout réduire, tout simplifier, ne pas croire, ne pas imaginer la complexité de Ce qu'il y avait avant, ce qu'il y aura toujours. La religion en grand simplificateur de la réalité pour les idiots que nous sommes? Quand les simplificateurs se pointent, la décadence n'est pas loin, mais ce sera le thème d'un autre billet.

mercredi 4 février 2015

Feel like on a shrinking iceberg

Aujourd'hui est un jour gris. La marée des non-sens plus haute que d'habitude et mon iceberg se rétrécit. Parfois, une vague grise et lourde s'écrase et tout devient glacé. Le froid monte, l'esprit se fige et le regard se perd sur une houle longue, huileuse et noire. Un océan de vacuité, abyssal et on cherche le sens comme on appelle l'air frais.
Asphyxie lente et mortelle.
Faire les choses comme d'habitude, mais pas tout à fait comme d'habitude. Quelque chose manque, comme un puzzle qu'on ferait sachant qu'il manque une pièce. pas tout à fait le même plaisir, n'est ce pas? Une promenade dans la campagne, le long d'une autoroute exactement. Trop de bruit, trop de gens, tous alignés dans une direction unique.
Mais qu'est ce que tout ça? Qu'est-il arrivé au monde? Où sont les autres, ceux qui connaissaient le goût des choses, le plaisir de l'instant, la joie des gens? Tout à coup, il n'y a plus rien, comme dans la chanson désespérée de Ferré.
Il manque décidément une pièce dans cette partie du monde et dans cette époque où je vis. Même écrire devient pesant, les mots sont lourds comme une ancre remontée à la main.
les amis sont occupés et quand ils parlent on peine à se comprendre. Enigma sur toute la ligne. Depuis trop longtemps. Un silence hagard, une conversation sans voyelle. On se lasse rapidement.
Fuir les nouvelles, éviter ce qu'on nous donne comme on gave un canard. Même les journaux se cherchent, s'épient et s'observent. La fuite des cerveaux s'achève et nous sommes ces demeurés qui demeuront dans un désert pathétique où tout ce qui reste se consomme mais sans goût.
Comme des fruits poussés trop vite.
Un ersatz de vie. Quelques-uns, bien placés, ont pris les choses en main, organisé la vie, dicté ce qu'il faut lire, énoncé ce qu'il faut croire, pensé ce qu'il faut aimer. Tout est si bien organisé. Même nos va-et-vient matinaux et vespéraux. Tous dans le même sens ou presque en une autoroute quotidienne.
Des journées ponctuées, précises.Un salaire qui tombe tous les mois, ou presque, pour certains seulement, juste ce qu'il faut pour continuer de croire que tout va bien, que tout est comme auparavant. Juste ce qu'il faut de déséquilibre avant. Mais qui voit ce mur devant. Et celui-ci derrière, et ceux-là sur les côtés qui se rapprochent? qui voit la prison qui se ferme et l'iceberg qui fond?
Qui sent?
Une fin de monde est proche, elle monte comme cette vague qui recouvre l'iceberg. Elle est parmi nous et enserre ce monde factice, ce monde de plastique qui fond dans la chaleur des étés de plus en plus précoces, de ces hivers qui n'en sont plus. Et les oiseaux s'interrogent.
La fin du monde n'est pas à venir ni une menace. Elle est déjà notre présent malade, grabataire et cacochyme. Un présent usé jusqu'à la corde comme un tapis qui aurait trop vécu.
Autre chose suivra, autre chose viendra. A nous de l'inventer, de le trouver en nous, à l'abri des salves qu'on nous assène, à l'abri de ces chocs qui nous fêlent avant de nous briser.
Il faut chercher de plus en plus loin, de plus en plus profond cette pièce qui manque, le ressort à la montre, le sens qui nous échappe et qu'on fouille dans nos mémoires fatiguées.
Il faut chercher plus loin le regard tranquille  d'un enfant, libre de sa console et joyeux de ses désirs.
Il faut chercher très loin la paix de ceux qui ont su quitter le bruit de ce monde tout en y étant encore.
Il faut chercher ailleurs ce sens qui s'échappe de peur d'être emprisonné, dénaturé, réduit au rôle inepte de slogans pré-fabriqués, braillés par quelque antenne. L'ersatz de sens qu'on nous rabâche de peur qu'on le cherche ailleurs justement! qu'on découvre l'imposture.
Oui! L'immense imposture. Un monde renversé qu'on nous dit à l'endroit, des gens couchés qui se croient debout. Des dormeurs qui nous traitent de rêveurs.
Oui, le monde est aux mains des imposteurs, de ceux qui l'ont embrigadé, mis en pièces, sauf celle qui  manque, réduit à l'ombre de ce qu'il était, de ce qui était prévu. Réduit à cette lamentable, exaspérante et pitoyable course à l'échalote. La course aux mirages soigneusement entretenus et renouvelés. L'imposture des jardiniers de mirages.
Ceux qui parlent et qu'on voit, toujours les mêmes, ceux qui ânonnent la même chose, les mêmes dogmes, les mêmes inepties creuses et vaines, ces vérités toutes faites qu'ils sont les seuls à croire vraies.
La réalité nous a échappé,  à nous de la chercher.
Mettons nous en route, mettons nous en quête, fuyons l'iceberg sans crainte de la houle. Faisons nous manchot, albatros, dauphin ou baleines. Tous ces animaux pourchassés mais libres et vivants, surtout dans la tourmente.
Laissons-nous porter par le vent, par cette autre chose venue d'ailleurs, vers l'île qui se cache, ce mont analogue où aborder, invisibles aux factieux. Ce monde de sens ici-bas, où les humains se retrouvent, venus de partout, d'autre part, d'autres temps. Un monde où commence le silence, le vrai. Celui qui chante et qui vit, sans que rien ne se dise. Oublier les mots pour un temps, oublier ce qui a martelé nos esprits. Reprenons forme, reprenons vie! Reprenons nos vies en main.
Échappons-nous. L'échappée sera belle.