dimanche 8 septembre 2019

St Fé

Le chemin ondoyait le long du lac, une trace de lumière ivoire, douce et chaude se faufilant entre les arbres, une couture au piqué à la fois lâche et précis qui tenait ensemble la montagne et l'eau. D'un côté la rigole qui serpentait au bas de la pente, de l'autre la rive longeant le lac étaient les deux pans en vis-à-vis de cette nature domestiquée, dépassant chacun de la couture et maintenus ensemble par le piqué irrégulier des arbres. L'abrupt de la terre et l'horizontalité de l'eau. Parfois un coude plus prononcé faisait un étirement, comme si la montagne voulait s'écarter et fuir, que la rigole et le lac suivaient dociles. Puis c'était le droit de la digue, une traversée toute de rigueur rectiligne, massive et volontaire, étrangère à cette affaire. Et le chemin de se poursuivre de l'autre côté sous les sapins pour rejoindre enfin l'animation de la route et ses petits commerces. 

Derrière la digue, un petit musée, une cascade et un jet d'eau avec son large plumet, entouré de berges luxuriantes, toujours baignées de son écume même par les jours les plus chauds, où l'eau pouvait une dernière fois se montrer enthousiaste, libre, s'exclamer avant de rentrer dans le rang, rejoindre le canal en contrebas, après les sinuosités lascives d'une rigole qui s'oubliait sous les chênes et les pins. Le canal, eau morne plaine, qui transportait ses indolences jusqu'à la mer ou l'océan selon qu'on piquait au sud ou à l'ouest.

Un lac, créé et voulu de toute pièce par un homme au nom simple comme un sobriquet. Riquet. Un endroit couru sans que la foule y débordât, un lieu de petites vacances où les enfants jouaient à se poursuivre ou déambulaient, sérieux comme des papes, derrière leurs cornets de glace. Sur l'eau des bateaux, des pédalos et des planches attendaient le vent qui dévalait les pentes, pressé lui aussi de se baigner. Sur les berges, des promeneurs, des joggeurs et des maîtres tirés par leur chien. Parfois un groupe de jeunes agglutinés autour de leur musique. Au sud, le lac était bordé de sept collines au dos voûté, là où les sourciers étaient allés chercher l'eau qui devait l'alimenter, que nous avions arpentées tant et plus, maintenant mises en coupe réglée par les forestiers qui transformaient les paysages à n'en plus finir, comme s'ils s'en fatiguaient.

Autour du lac, quelques bâtisses XIXème, volets fermés ou entrouverts, dont on ne savaient s'ils protégeaient du soleil, de la vue ou des gens. On devinait des rideaux lourds aux passementeries anciennes, les lustres et leurs pendeloques, les plafonds trop hauts, les pièces froides et humides que des doubles portes longues et étroites ouvraient sur une cuisine hors d'âge, le corridor ou l'office. Je me suis toujours demandé si j'aurais aimé vivre dans ces lieux d'arrière-garde, chargés de beaucoup de poussière, d'un peu de tradition et de quelques histoires.

Le fond de la vallée était habité de quatre ou cinq maisons, regroupées en hameau autour d'un petit torrent, au confort moite passé Octobre mais que nous imaginions privilégiées. Le ruisseau arrivait de la montagne, essoufflé et bruyant, qu'un astucieux réseau de vannes et d'écluses départageait entre la rigole et le lac selon les besoins des mariniers. Ces jeux d'eau m'avaient toujours paru très mystérieux et savants, un savoir-faire du fond des âges qui se donnait dans la "galerie des robinets" sous la digue. 

Près du ruisseau, un petit hôtel, effacé, presque timide, sans autre vue que les arbres, renfrogné presque. Je ne savais pourquoi mais cet hôtel désuet m'attirait, par sa discrétion peut-être, son côté retiré? Salle à manger éternellement vide, personnel rare et silencieux comme des ombres. Nous y avons pris un verre ou deux de retour de balade. Rafraîchis assurément mais le plaisir de l'instant n'y fut jamais vraiment. Il manquait quelque chose pour être bien. Je m'y serais pourtant bien vu écrire au calme un de mes romans.
Son vis-à-vis de l'autre côté au bout de la digue, c'était autre chose: une belle bâtisse nimbée de soleil, avec sa piscine et vue sur le lac, évoquant le bourgeois prospère plus que l'aristocrate désargenté, qui affichait sa superbe autant que régulièrement complet. A l'évidence, il était plus avenant. Nous en avions visité les chambres et leur souvenir m'appelle encore, comme une invitation de villégiature qu'il faudra bien un jour honorer.

Ce lieu me laisse un souvenir délicieux. J'y ai marché beaucoup, en famille, seul ou à deux, m'imprégnant de sa beauté immobile comme si cette étendue d'eau contenue par sa retenue m'avait enseigné la patience autant que le silence. Le plaisir de vivre peut-être? Un endroit où la nature et les hommes, vivant depuis si longtemps en bonne intelligence, prenaient soin l'un de l'autre, avec la bienveillance apaisée d'un couple qui aurait enfin accepté de vieillir ensemble. 

mardi 28 mai 2019

Défilés


J’attends que les mots m’appellent, pêcheur rêveur emporté dans l'eau par le poids de sa ligne. Pour l’instant, ils passent en désordre sous mes fenêtres, bandes joyeuses, bruyantes et désorganisées, absorbés par leurs jeux et ignorants de mes vœux et quand ils sont passés, je me retrouve, pensif et désœuvré, dans le sillage de souvenirs, de senteurs et de sons qu’ils laissent derrière eux. Il m'en reste une sorte de langueur un peu morne, un étonnement incertain et le regret de n’avoir pu en saisir aucun, que rien ou presque ne durera de ces passages. Cette fois encore, ç’aura été un défilé ruisselant, cacophonique, insaisissable, indifférent presque hostile, peut-être suis-je trop loin ou sont-ils trop furtifs, indociles comme ces bandes de copains qui sortent de leur boîte et tardent à rentrer, inondent la nuit de clameurs éméchées.
Je ne me décide pas à les rejoindre, pas encore descendre dans l’arène, attendre à nouveau leur passage, pourtant il faudra bien que je me résolve à partir avec eux, sans plus m’arrêter à ce qui me retient. La même chose sans doute qui me retenait dans un âge plus jeune mais tout aussi hésitant, quand j’étais amoureux. Devant l’immensité, faire le premier pas coûte, une barrière gigantesque, infranchissable tant qu’on n’a pas osé une fois au moins et l’on se perd sans fin à imaginer ce que sera la suite, un autre égarement je suppose, mais aux émois tellement plus doux.
Pourtant ces bandes gaillardes et bien vivantes qui s’étalent et se bousculent, me parlent. Elles évoquent dans leur tapage, des mondes que je sens proches, tel un enfant sur un quai, immobile, silencieux dans le vacarme portuaire et envieux des grands voyageurs qui s'affairent sous ses yeux. Il observe les malles et les ballots, les allers et venues des hommes et des tonneaux, n'en perd pas une miette, devine ceux qui partent et ceux qui rendent le départ possible. Se dit que, peut-être, s’il commence par aider ceux-ci, pourra-t-il faire partie de ceux-là ? Dans le grand balancier des mâtures et des voiles qui sèchent. Et les canots qui circulent, halés dans le lent mouvement de leurs rames et le geste sûr du matelot. Sans oublier le goût de la chique ni le poids de la pipe.

Maîtres mots.

C’est votre tour peut-être, mots revêches et mutins qui fuyez sans cesse, de laisser venir à vous ce petit élève d’un cours très moyen, témoin de vos jeux au collège, laissez-lui libre cours dans celle de vos récréations, laissez-le se perdre à vos cavalcades libres et sauvages en bandes qui s’observent, s’évitent puis s’affrontent, se cherchent et se bousculent et ne lui tenez pas rigueur si, de peur, il tire un peu trop vite son épingle du jeu. Question d’habitude sans doute ? Oui à n’en pas douter, la crainte est là de se perdre, d’être malmené, d’y laisser des plumes faute d’en avoir trouvé une, la peur des mauvaises fréquentations, d’être à son insu acculé dans un recoin sinistre  où l'on se retrouve vidé, essoré, sans rien avoir écrit qui vaille, sans rien avoir gardé après avoir bataillé dans les vociférations de mots vengeurs et traîtres. L’immense crainte des balivernes et du grand n’importe quoi.

Je suis, au bout du compte, descendu dans la rue, décidé à m’y mêler, attendre leur passage. Il s’annonce enfin dans un long brouhaha d’émeute qui les précède de loin, rumeur impressionnante de l’océan qui s’approche. La crainte encore, de la vague trop puissante parce que mal mesurée, l’appréhension du moment où il faudra s’y colleter. Les voilà, ils sont sur moi. Vus de près, c’est vrai qu’ils font peur, l’air mauvais, vindicatif et sauvage, si peu apprivoisés. Longs, brefs, vifs et courts, certains compliqués se traînaillent. Ceux-là clament haut et fort leurs sonorités, d’autres s’excusent presque d’exister. D'autres encore vous laissent coi, un grand vide dans la tête, un trou qu'on observe en se disant qu'il y a quelque chose là, pour dire ça, mais je ne sais plus quoi, on en reconnaît les contours et l'odeur de l'absence, comme la margelle entoure la profonde obscurité du puits. Je me sens glisser, engouffré sans appui au cœur d’une manade furieuse ou d’une harde qui a démarré folle. Que fais-je là, que suis-je, emporté par le flot sans rien où m’accrocher ? Immense tonitruance erratique, libre et gesticulatoire, massée autour de solides gaillards, sûrs de leur histoire et qui imposent le respect. J’hésite, je me tais, me fraie un chemin ou plutôt me laisse porter, me cache presque dans ce torrent qui passe. Je cherche du regard un complice, un repos, quelqu’une de connaissance, je n’ose dire une amie, celui ou celle que je crois reconnaître, semblable au souvenir d’un moment à venir et me donner enfin le courage de faire un bout de route avec elles.

Après les hordes brutales et débraillées, ces mots qui s’imposent et ne vous laissent penser qu’à peine, qui s’entrechoquent et portent en eux un grand vide dont on ne sait que faire (capharnaüm par exemple, jéroboam ou oripeaux), en voici d’autres qui murmurent et chantent, colorés, vivants, légers, aux airs de parfums presque, qui s’avancent posément, prennent tout leur temps. Que pensez-vous d'un nom d'arbre, olivier par exemple, frêne, églantier ou sylvestre ? Ou encore rhododendrons ? Ah, celui-là, il nous promène, regard perdu sur la colline et ses ondulations. Chacun est une esquisse, une histoire, la promesse d’un détour qu’on ne regrettera pas. Ceux-là, nul besoin de les chercher, encore moins de les choisir, on échoue chez eux comme sur une grève, rincé, épuisé mais heureux comme après un naufrage. Je ne dis pas qu’ils m’accueillent, au moins ils me tolèrent. Je peux m’y reposer.

Cette fois encore,

S’annonce une balade en bonne compagnie, parfumée, bien élevée, distinguée presque, dames d'antan sous leurs ombrelles, qui flânent en devisant. Je m'enivre à leur présence comme à une essence forte, m'accroche à leurs pas mesurés telle une ronce à l'étoffe et me berce de leur démarche balancée et gracieuse, dans le bruissement soyeux des robes et la douceur des châles qui bordent des épaules rondes, lisses et fraîches, au chant discret et mélodieux de conversations susurrées. Ah, que ne suis-je leur amant, leur complice !  M’en approcher encore, écouter, sentir, ressentir, en être intime, confident si possible, familier de ce qu’elles disent et assoiffé de ce qu’elles taisent. Me nourrir de leurs silences et des bribes qu’elles m’abandonnent, que je ramasse avide, alors qu’elles feignent d’ignorer ma présence mais se nourrissent d’elle. Oh, comment savent-elles si précisément qu’on les regarde et qu’on les aime ? Je n’ai rien pu faire ni dire pour les retenir, rester à leurs côtés et déjà elles s’échappent, me distancient, m’oublient, disparaissent au détour d’un buisson et je me retrouve penaud, surpris et un peu bête, juste au bout de ma rue, la tête pleine de ce qu’elles y ont laissé, languide de leur ivresse après un voyage si lointain et si bref.

À les suivre au moins, je me suis mis en chemin, ne plus m’arrêter alors, jusqu’à reconnaître enfin le grand vent du large dans l’air qui m’entoure et frémit. Me laisser guider, résister au sens qui s’affole, humer encore comme un chien courant divague, flairant dans l’air une senteur, un bruit, une image qui lui sont familiers, annonciateurs de joies tranquilles et de moments délicieux. Revivre l’émoi de leur passage et me laisser conduire en leur compagnie au seuil de l’océan de mon prochain roman.

Une fois en route, s’arrêter est difficile et les mots deviennent comme ces enfants de villages étrangers qu’on traverse quand on marche au long cours, ribambelles galopantes et joyeuses qui collent à vos basques comme un sillage de clameurs et de bruits, une effervescence agitée dont il est impossible de se débarrasser. Jusqu’au fond du sommeil et au cœur de la nuit. Certains déambulent seuls, esseulés, semblent sans famille ni attache et à qui, encore, pour l’instant, j’ai si peu à donner. Ils sont là, vous regardent, une invite silencieuse dans les yeux dont on ne sait que faire. D’autres sont sales, dépenaillés, moches même, qui viennent à vous vifs, bagarreurs et hirsutes comme s’ils venaient de se chamailler, et tant d’autres qui vaquent à leurs affaires, l’air de ne pas s’en laisser conter. Tout ce petit monde a ce quelque chose, presque rien, qui invite à s’arrêter.
Oui, se poser, les laisser m’entourer, les laisser venir à moi en masse vivante, vibrante et forte, accueillir les phrases qui arrivent en petites cohortes malhabiles, ne pas s’y opposer, peu importe où elles mènent. Inventer un langage pour se comprendre enfin, moi et tous ces petits étrangers.
Ils veulent, je le sais, que je leur parle du plus profond de moi et de ce qui m’habite, que je m’engage et partage d’où je viens, sans montrer trop d’intérêt pour où je crois aller. Savoir surtout ce que j’ai dans le ventre. Oui, pour écrire, il faut se livrer, donner beaucoup de soi, fouiller dans sa besace, donner quelque chose, n’importe quoi qui engage et lie et fait que le moment devient inoubliable. Cracher les mots autant qu’on les respire. S’y jeter comme dans une bagarre et ne rien retenir des coups qu’ils nous portent. Lentement, nous nous faisons les uns aux autres et, ensemble, nous inventons des jeux, des rituels, esquissons en petites conversations, des chants de gestes et de sourires où je devine qu’ils m’invitent à rester parmi eux, m’indiquent où demeurer. Ils ont raison, je vais rester un peu.

jeudi 23 mai 2019

Rythmes



Si d’aventure, ce qui est une façon de parler vous allez voir, vous prenez le train, en particulier l’un de ces trains réguliers du matin qui poussent vers la capitale son lot de salariés endormis, vous ne manquerez pas d’être frappé par la prédominance des rythmes. Celui du train bien entendu, mais surtout ceux dans le train, l'omniprésence du rythme du wagon : l’homme qui tousse, les joueurs de tarots qui ponctuent le silence de leurs exclamations, l’enfant qui pleure, votre voisin qui respire… et le baladeur sur l’autre banquette. Surtout le baladeur, comme un grésillement continu, un faux contact dérangeant sur lequel s’imprime un battement pseudo cardiaque plus ou moins rapide mais toujours prononcé. C’est à peu près la seule chose qui soit prononcée d'ailleurs, ne cherchez pas de mélodie ! Fi des paroles vite oubliées, dans la plupart des cas elles n’ont de raison que d’être le prétexte aux instruments, surtout ceux qui bastonnent en arrière-plan. Le rythme de la phrase a, quant à lui, disparu, envolé, emporté par le flot tumultueux de l’inondation cacophonique et anglophone, plus de rimes ni d’allitérations. Le pied se confond quand on le prend à tour de bras. Ça grésille vous dis-je, à un point hallucinant, lancinant d’exaspération quand les battements ne se supportent qu’associés aux aiguillages et autres avatars ferroviaires.
D’une façon ou d’une autre, il est conseillé de ne pas s’éterniser dans cette sorte de voyage. Pourtant il y a comme un attachement pathologique de l’homme au rythme : attentifs à celui des saisons, formés à celui d’une cloche d’église ou d’une sirène d’usine,  bercés par celui du sommeil, je vais y revenir un peu plus loin, prisonniers de nos habitudes enfin, nous croyons construire quand nous ne faisons que répéter. Il faut dire que la répétition jouit chez nous d’un statut particulier : c’est par elle que nous avons appris, c’est elle qui nous rassure au point de nous enfermer. Même chez Bach, l’art de la fugue se décline sur le mode de la répétition, c’est dire ! La fuite impossible, l’escapade interdite, l’ordre se rétablit sans cesse, retombe sur ses pieds qui n'ont rien de poétiques, l’habitude dressée comme on dresse un enfant, aveugle muraille qui imprime à tout ce qui en dépasse des couleurs dangereuses et barbares. Honnies pour ainsi dire.
C’est bien connu, barbares sont les rythmes qui nous sont étrangers, ceux auxquels on a du mal à se plier comme à une danse exogène : horaires ou rock’n roll, quand le rythme est là, la contorsion n’est pas loin et c’est l’habitude, encore elle, qui transformera en formation cette déformation volontaire.
Tout le problème vient sans doute de la confusion entre répétition et méthode, de la suprématie (temporaire, j'espère) de la planification sur l’invention. Il doit bien exister quelque part, dans les coulisses du développement, en marge du grand spectacle de l’uniformité confondante, une méthode plus attentive que répétitive ? Quelque chose de plus nourrissant, comme un regard ou une écoute qui privilégie le détail et le fragile à ce qui est solide ou commun ? Le summum de cette confusion aura sans douté été atteint le jour où fut proféré l’axiome, je n'ose dire la promesse, au firmament du rassurant “le changement dans la continuité”. Ne changez rien, ne jetez rien, gardez tout, ça pourra toujours re-servir, vos habitudes se chargent du reste. Ce fut le début du grand endormissement, au rythme paisible des formules ronflantes sous la couette de la protection sociale. Nous avions tant envie de dormir que nous prîmes le tableau d’une escapade de soudards en goguette pour une ronde de nuit. Pauvre Rembrandt qui croyait nous réveiller par ses tonitruances, ses vacarmes soldatesques, lui aussi a été piégé dans la ronde hypnotique et somnifère. Regardez bien ce tableau et dites moi s'il vous donne envie de dormir, alors où est l'arnaque?
L’efficacité de l’ordre vient de l’habitude. Tous les militaires vous le diront, qui vous font faire et refaire encore le même geste pour être sûrs que, le moment venu, c’est celui-là et pas un autre qui vous viendra à l’esprit, ou ce qui vous en restera dans l'implacabilité du combat et il est quand même extraordinaire que ce qui rompt avec la ronde des rythmes, comme une révolution par exemple, porte en son nom l’acceptation fatale de la ronde : agitez-vous comme vous voulez, vous reviendrez toujours sur vos pas. Circulez ! (toujours cette notion de cercle...) Dans ce cas, autant ne rien faire et rester tranquillement chez soi, puisque une révolution n’est finalement qu’un tour de plus. Ce mot, je ne sais qui l'a inventé, mais il sonne pour moi comme la revanche de l'immobilisme bourgeois. Pauvre cochon d’Inde qui s’essouffle immobile dans son vertige circulaire. Pour en sortir, notre malheureux animal doit s’arrêter s'il le peut encore, prendre la tangente, à moins qu’emporté par le mouvement, il n’en soit éjecté prématurément.
Ceux qui prétendent que l’histoire ne se répète pas sont aveugles ou ignorants, à moins qu’ils ne soient bègues, les mêmes plats nous sont resservis en permanence, comme si, en cuisine, le chef manquait d’ingrédients ou d’imagination. Finalement c’est l’affaire des rogatons, les petits plats que l'on se passe et repasse, faits de restes: la grande histoire n’est que l’accumulation des petites que l’on érige en édifiants principes et en prenant grand soin de les choisir correctement (toujours une question d’ingrédients). L’histoire se répète pour mieux nous enivrer comme pour ces mauvais vins où on force sur l’alcool pour masquer la pauvreté des arômes et des saveurs. La sensation vous dis-je. Et de l’appétit pour la sensation, je n'ose parler de goût, il est facile de passer au sensationnel, pour nous qui nous laissons happer, rattraper par la tonitruance de nos loisirs. Entre cinéma "sensurround" (oui, vous avez bien lu, ça sonne comme un cataclysme), télévisions multi-chaînes et parcs d’attraction, tout s’enchaîne, oui, c'est le mot et toutes nos inventions ne sont plus qu’illusions : elles ne servent pas de réveil mais agrémentent notre grand sommeil. Ah, c'est qu'il faut la faire belle, la roue du petit cochon! Nous parsemons nos vies de rêves et de chimères au lieu de nous laisser nous perdre dans des chemins de connaissance ou de découvertes, à tout le moins d’exploration. J’en veux pour preuve, tous ces jouets dits d’éveil, tous de la même forme, de la même matière et des mêmes couleurs, objets standards à la production calibrée. Nos rêves, eux-mêmes, ne sont plus messages ou invitations, simplement devenus inaccessibles pour la raison toute simple que l’aboutissement ultime de nos errances somnambules nous ont amenés droit à l’objet. Répété, multiplié, magnifié, il hante nos envies comme des barbares qui auraient pris possession de la ville. 
Tremblez, poètes, les objets ont pris la rue! Tu parles d’une aventure, à ce rythme-là, autant rester couché.

Cycles et fragments



C’est l’hiver. Air glacé et ciel bleu. En avance sur la saison mais pas sur la nature ni les hommes : depuis que les dernières couleurs d’automne ont fui avec le vent, ne laissant que leurs branches aux arbres, auxquelles ne restent que quelques feuilles têtues et désespérées, ils l’attendent. Il est là et comme d’habitude, ils y sont mal préparés. L’homme urbanisé, même quand il vit à la campagne, ne sait plus se préparer à l’hiver. Seuls les paysans ont gardé le sens de ce rythme lent, imperceptible. Cela disparaîtra aussi avec l’air conditionné dans les tracteurs. Alors ne subsisteront que les rituels, habitudes sans connaissance, attention sans autre langage que le nôtre. Le grand monologue urbain sera complet, avec en arrière-plan sonore, le halètement grinçant des machines et le zézaiement des computers. Si l’été est assourdissant, l’hiver est une saison bavarde : derrière son immobilité, on devine la métamorphose au travail, rien ne bouge et tout change. Dans ces instants rétreints et secrets, s’accumulent les jaillissements futurs, vers la grande aventure du recommencement. C’est maintenant que l’homme sage, l’observateur patient taille et coupe. C’est maintenant que l’arbre prend forme. L’hiver est la saison de toutes les créations, celles que l’on poursuit et qui s’échappent encore, celles qui nous obsèdent, celle qui nous façonne à l’image d’on ne sait quel modèle éternel et changeant. Et toutes les autres. Quant à l’été, c’est davantage l’heure de la récréation.

Si l’on observe bien, l’hiver a ceci d’intéressant que l’activité s’y réduit au strict nécessaire, comme un bagage pour un voyage incertain : les actifs savent où ils vont, les animaux sont affairés, sérieux comme des papes. Même les bruits se font rares et précis. Et pour peu qu’il neige, tout cela se réduira encore. Il faut finalement des températures très précises, remarquablement tempérées et propices pour que la vie et le désordre s’épanouissent. En deçà comme au-delà, l’homme attend, fatigué avant d’avoir commencé. Qu’y faire ? Déménager. Les grandes transhumances sont comme les vents, circulaires et cycliques. L’avis de Coriolis serait intéressant sur les migrations, occasionnelles ou pas, qu’elles concernent nos vacanciers, nos émigrants ou nos immigrants. Tristes tropismes. Avez-vous remarqué à propos ? la cinglante différence entre l’émigrant et l’immigrant ? L’un a pour lui gravité et noblesse, empreintes d’une certaine nostalgie. L’autre est beaucoup plus tapageur, encombrant, désordonné et pour tout dire, clandestin. Même si les deux sont misérables, la faveur va davantage à celui qui s’éloigne qu’à celui qui s’approche.  Coriolis aurait-il quelque chose à nous dire à ce sujet ? Il semblerait, en première hypothèse, que le cycle favorise le changement, il serait le point de départ (si j’ose dire) de l’évolution. Il aide à grandir comme une super-vitamine. Le "grand bi" l’avait bien compris qui, d’emblée, avait donné à l’expérience des dimensions impressionnantes et pour tout dire, passablement casse-cou. Heureusement qu’il fut vite ramené à des proportions plus aisément maîtrisables. Mais c’est un fait : le cycle est moteur. De l’un à l’autre, le pas est facile à faire, une fois fait d’ailleurs, il devient inutile, le moteur prend le relais.
Les voici donc nos machines soufflantes, haletantes et volantes : c’est du cycle. Et d’ailleurs, elles tournent. Pour nous, pour les autres, pour tout le monde et pour personne. Elles en viennent à tourner pour le plaisir du cycle, finalement peu exigeantes en réparations et entretien. Et si, parfois, elles rompent brutalement cette délicieuse harmonie du fonctionnement et de l’évolution cycliques par des catastrophes ou autres ruptures à caractère médiatique, il faut seulement y voir une légitime aspiration au changement. Sans les ruptures, pas de changement, sans changement pas de voyage ni découverte et tout notre bagage ne sert à rien. Il faut savoir briser, briser avec éclat, les cycles qui nous entourent et auxquels on appartient. L’éclat et le fragment, tout est là. Du moins, tout a commencé par-là : quand fatigué d’assommer, l’homme a commencé à vouloir fendre et couper (déjà, les raccourcis !). Ah, il s’en est donné du mal sur ses fragments ! Il les a taillés avec application, on peut même supposer qu’il y passa du temps et en tailla un certain nombre, vue la quantité qu’on en découvre encore de ces éclats, fragments du passé, de multiples cycles plus tard. Il avait raison, cet homme d’avant l’histoire, ou tout au moins à son commencement, puisque nous y revenons à ses éclats et ses fragments. Comme pour lui, nos éclats et fragments vont changer nos vies, notre façon de voir le monde, de nous y promener et nos rapports avec les autres.

Le fragment est un signal, il indique les lieux de grande densité historique, comme un futur vestige d’échanges et de tensions. Le fragment est important, même s’il est minuscule, il mérite qu’on s’y arrête. Il est la trace de la création autant que son point de départ. Aurait-elle encore ses bras, la femme de Milo ne serait qu’une aimable bergère un peu déshabillée. Sans eux, elle devient Vénus, c’est le fragment qui fait le symbole. Notre civilisation repose sur la bribe et les débats qui s’en suivent. Nous vivons à l’ère de la bribe débattue. Rien ne nous est accessible dans son entier, par nature l’information est parcellaire comme un colis piégé. Les apparences sont toujours aussi trompeuses, seuls nous apparaissent des fragments, vestiges ou annonciateurs. À nous de faire le tri dans un puzzle gigantesque où la moitié des pièces manquent. C’est à partir de fragments, d’une pensée morcelée, éclatée et miroitante comme du gypse ou de l’obsidienne que nous devons reconstituer notre histoire et nos cycles. Avec tous les risques d’erreurs et le souci de rigueur qui conviennent. C’est comme si le Créateur, en cruciverbiste averti (même si son truc à lui serait plutôt les cycles et le circulaire), nous lâchait dans les pattes, comme pour nous épater, quelques morceaux de notre devenir et de notre passé en nous disant “débrouillez-vous avec ça” Et tels des bushmen interdits devant une bouteille de boisson gazeuse, nous échafaudons conjectures et supputations sur la nature des cycles. Un vieux professeur de mathématiques qui vogue peut-être aujourd’hui sous d’autres cycles, avait tout compris, qui m’avait dit “avec une longue vue suffisamment puissante, je verrais ma nuque il y a dix milliards d’années ” Ce qui n’avait pas manqué de me plonger dans des abîmes de perplexité ouateuse (comme il disait) d’où il avait le plus grand mal à me tirer. Ce même professeur avait une autre maxime qui eut davantage d’influence encore sur mon propre cycle: “méfiez-vous du premier mouvement, c’est généralement le bon”. Cette traduction libre de “l’agir-ne pas agir” oriental, il me fallut du temps pour la comprendre et me mettre en route. Non sans de multiples précautions préalables, me méfiant comme de la peste de tout premier mouvement, pensant davantage au second avant que de commencer, ce qui ne m’a aidé ni à comprendre où j’allais ni, une fois arrivé, comment j’y étais parvenu. Je m’en suis sorti en inversant la proposition et en me méfiant des professeurs de mathématiques, surtout quand ils étaient bons. Depuis lors, nous n’évoluons plus, lui et moi, sur les mêmes eaux, les sortilèges des mathématiques faisant, comme sur les épitaphes, partie de mes regrets éternels. In memoriam.  

Il est amusant de constater que les Anglais, au contact prolongé des sources de l’orientalisme qui est, comme chacun sait, l’un des multiples bénéfices de l’Empire, sont passés maîtres dans l’art de la conjecture et de l’investigation : d’Agatha à Conan, d’arsenic en vieilles dentelles, ce peuple d’îliens sur son fragment de continent nous a appris avec éclat à reconstituer les fragments, à maîtriser le cycle : l’immuable est une valeur fondamentalement britannique et les règles de l’équilibre n’ont plus de secret pour ces experts en statu quo. Pendant que nous, français, roués qui filons à l’anglaise, cultivons davantage l’art de la tangente : à peine sommes-nous quelque part que nous envisageons les moyens d’en sortir. Ce qui, par ses aspects positifs, peut être un vigoureux facteur de développement n’en est pas moins un élément d’instabilité tout aussi prégnant. C’est du moins ce qu’ils nous reprochent et la source de nos malentendus cycliques.

Le cycle et le fragment. Nous tenons là un mélange hautement détonnant, comme un combustible et son comburant, qui ne manque que d’étincelle. Les occasions ne manquent pas d'ailleurs et les boutefeux en herbe sont légions qui attendent qu’une partie du monde soit sur la paille pour se livrer à des expériences pyrotechniques hautement dévastatrices. Guerres froides ou chaudes, locales ou généralisées, civiles ou non (guerre civile ! ce concept ravageur et saisissant est un raccourci sévère et préoccupant, digne de la famille Tape-Dur qui travaillait ses silex à l’aube de notre histoire), tous les conflits qui se sont agités et s’agitent, sont les signaux d’une fracture, comme un rift historique dans la tectonique des plaques de notre développement. Quand ça bouge, c’est que ça vit et si ça vit, c’est que ça grandit, même si cela fait toujours un peu mal, les opportunistes de tous poils se disant qu’il suffit d’être ailleurs quand ça éclate ou au contraire d’y aller pour participer. Les autres, tous les autres se disent “hic et nunc” et derrière ce borborygme digestif se dissimule une extraordinaire acceptation de la fatalité des cycles.



vendredi 17 mai 2019

Aujourd'hui est un beau jour pour changer


"I had a dream", oui, pour paraphraser Mr King, j’ai fait un rêve, un cauchemar qui m’habite encore alors que je suis éveillé. Je me suis vu sur Terre dans deux cents ans. Êtes-vous prêts à me suivre ? à m’accompagner dans ces gorges sinueuses, profondes, ocres et vides comme martiennes, balayées par un vent brûlant et sauvage, là où nos lacs, même les plus grands, ont disparu ? Des éboulis de roches en équilibre instable marquent la place de nos glaciers et tous nos sommets sont des déserts d'altitude où la neige a fondu depuis longtemps, leurs flancs ravagés de coulées brutales de boue, de terre, d’eau et de roches qui ont tout emporté ? Et les océans gavés d’algues vertes, rousses et filandreuses, aux eaux tiédasses, putrides et toxiques où plus rien ne vit ? évidemment, pas une fleur, pas un insecte ni un oiseau. Les seuls animaux qui hantent ces lieux stériles sont quelques charognards qui se disputent des restes. Les arbres aux troncs brûlés sont des nains qui végètent et croupissent comme tout ce qu’ils abritaient. Plus rien ne monte vers le ciel, craignant de s’exposer, tout rampe, fatigué, changé en une mousse exubérante et prospère qui s’est emparée de tout. Suivez-moi encore et approchons des villes où ne déambulent que des cohortes de passants sur le qui-vive et soigneusement groupés, chacun avec son petit appareil respiratoire portatif comme devenu asthmatique, et tous, bien entendu, armés jusqu’aux dents ou ce qui en reste, tant les rues sont des bas-fonds glauques et surpeuplés où l’on s’étripe pour un rien. Voyez ces usines aux fumées noires et épaisses parce que plus rien ne fonctionne et qu’on y brûle n’importe quoi pour récupérer le peu d’énergie disponible ? Et partout cet air d’étuve surchauffée, poisseux et grisâtre, chargé de cendres et de poussières qui collent à tout ce qui dépasse et voilent le soleil, pâle disque jaunâtre, ombre de lui-même ? Et la puanteur partout, celle de tonnes d’immondices que personne ne ramasse, celle des gaz et des matières en lente décomposition. Un monde méphitique.



Voilà où nous en sommes, voilà ce que nous faisons. Si nous en sommes capables, regardons en face ce monde que nous créons pour les petits-enfants de nos petits-enfants. Osons leur dire : "je le savais, je n’ai rien fait". Ne nous cachons pas derrière "je n’ai rien vu venir", ce n’est pas vrai. Ne nous racontons pas d’histoire. Toutes celles que l’on diffuse et partage, nos craintes et nos soucis, nos projets et nos envies ne sont qu’à courte vue, à peine à l’échelle de nos vies et déjà, de notre vivant, nous voyons s’approcher les prémices de ce monde : les lacs qui se vident, nos océans de plastique, la forêt que nous déracinons quand nous ne la brûlons pas pour être plus expéditifs. Et toute cette biosphère exterminée. Inutile de se cacher derrière nos beaux raisonnements, nos sempiternels discours sur la loi du marché et l’inexorabilité de nos équilibres (it’s the economy, stupid !), la loi du plus fort et celle des nantis, ne nous reposons pas sur nos illusions et nos fausses espérances, comme par exemple les miracles à venir de la technologie qui vont nous sauver de tout ça.  Inutile de nous dissimuler notre manque de courage, notre incapacité à toucher ne serait-ce qu’un peu à notre confort presse-bouton. Inutile de crier aux Cassandre, aux chantres du malheur et aux mauvais prophètes. Le désastre est annoncé, mesuré, chiffré, c’est notre mode de vie, de pensée, de consommer qui l’engendre et le mène jusqu’à nous. 

La vérité est celle-là, qu’elle nous plaise ou non.

C’est cela le sujet et rien d’autre. De quoi pouvons-nous donc parler dans nos dîners, nos conférences, nos réunions si ce n’est de cette catastrophe annoncée ? De ce que nous avons fait, de ce qu’il reste à faire. De ce que nous pouvons entreprendre pour l’éviter ? (Imaginez un astéroïde en route vers la Terre. Vous parleriez d’autre chose que ce qu’il faut faire pour l’empêcher de frapper ?) Tous nous avons lu ou vu l’odyssée du Titanic, tous nous nous sommes gaussés de l’incurie du commandant et de l’aveuglement des commanditaires obsédés de record et convaincus de leur infaillibilité. Nous sommes cet équipage, nous sommes ce commandant et ces commanditaires, nous ne sommes pas que passagers. À nous de décider de changer de route et de choisir l’équipage capable de le faire. Pas demain, maintenant.

À présent voyons l’autre face des choses : je vous invite à deux voyages, l’un vers le grand monde, l’autre vers le petit.

Envolons-nous d’abord, quittons la Terre, projetons-nous dans l’espace, voyons-la de loin notre planète, cette bille bleue et blanche, verte et ocre, nimbée de son atmosphère diaphane et légère comme un voile de mariée. Un astronaute a dit qu’il était impossible à quiconque la voyait de loin de ne pas l’aimer, ce miracle de couleurs et de vies, hôte de centaines de milliards de petits êtres au milieu du grand vide intersidéral, glacé, invivable et hostile. Contemplons cette merveille que nous habitons et dont nous faisons partie. Ses équilibres, petits et grands, ne tiennent finalement à pas grand-chose, juste l’interpénétration des espèces et des cycles, la vie sous toutes ses formes y compris celles de la matière. L’incroyable aventure de la diversité à laquelle nous sommes invités depuis des millénaires, cette vie qui nous porte. N’êtes-vous pas touchés au fond de votre âme par cette beauté, cet émerveillement toujours renouvelé, tout ça sur cette boule infime, en équilibre dynamique, penchée autour de son étoile ? La sentez-vous vivre, là maintenant sous vos pieds ?
Suivez-moi à présent au cœur du petit monde, il faut fouiller un peu, vaincre des résistances, s’allonger par terre et ne plus bouger, regarder sous les herbes, entre les fougères, sous les feuilles au pied des arbres ou sur les berges d’un ruisseau. Sentez-vous cet affolement de couleurs, de senteurs et d’odeurs, ces petits peuples qui grouillent, vaquent et se croisent, la vie qui rampe, vole, sautille et ondoie. Tout ce monde très occupé à ses affaires auxquelles nous ne comprenons pas grand-chose mais qui, quelque part, est la continuité de ce que nous sommes.

Voilà aussi où nous en sommes, voilà ce que nous partageons, voilà ce que nous détruisons.

Vivre et aimer tout cela ne vaut-il pas mieux, mille fois mieux que notre quête imbécile du profit, de la croissance à tout prix, mieux que nos salaires aussi indécents quand ils sont insuffisants pour vivre que quand ils sont démesurés, où la seule question alors devient que faire de tout cet argent ? n’est-ce pas proprement sidérant de savoir qu’un infime pourcentage de nantis possèdent autant de richesse que la moitié de l’humanité ?

Une vie autre nous appelle, une vie autre nous attend. C’est à nous de choisir, ici et maintenant. Continuer comme toujours, dans notre course inutile et mortifère vers le néant, ce Titanic terrestre où chacun de nous est capitaine, accepter cette fatalité dans tous les sens du terme, laisser venir la mort et avouer notre impuissance. (il y aura toujours des cyniques pour dire qu’un autre monde renaîtra tel le Phénix de ses cendres, ou qu’eux-mêmes ou leurs congénères s’en sortiront toujours. À ceux-là, je répète qu’il est très difficile de se protéger du malheur, il trouve toujours un endroit où frapper et que c’est aussi de leurs enfants qu’il s’agit).

Ou au contraire, serons-nous capables de mettre nos talents ingénieux, notre enthousiasme d’humains, notre génie industrieux, nos arts, nos idées, notre allant, notre jeunesse, notre passion, nos intelligences et nos joies au service d’un futur que nous décidons tout autre ? Serons-nous capables d’agir chacun là où et telles que nous sommes, de saisir les opportunités et de nous mobiliser tous pour maintenant, décider de changer le cours des choses. 

Nous pouvons le faire, c’est maintenant ou jamais en ce qui nous concerne. Nous pouvons choisir l’intense jubilation de nous sentir participer du vivant, collaborer avec toutes les espèces que notre Terre abrite, en continuité avec elles au cœur des équilibres, inventer un jeu nouveau où c’est la grâce des choses qui compte. Oui, nous pouvons sentir la joie de participer du vivant, être en symbiose avec lui. Voyons-nous attentifs, alertes, prudents, responsables, à notre place et respectueux de ce qui n’est pas nous, au lieu de laisser nos pulsions, nos désirs et nos envies nous faire croire que nous sommes ces prédateurs avides et sans retenue que, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons cessé d’être.

Oui, aujourd’hui est un beau jour pour changer. 


jeudi 17 janvier 2019

Ocean 28


Did yesterday’s MPs vote against Brexit plan come as a surprise to you? Not to the least to me. This is yet another part of a fascinating drama that is played in real life before our mesmerized eyes.

Let me put it straight upfront: I love the Brits, I really do. Having lived in the UK for 3 years which were among the happiest in my life, I enjoyed this people’s particular sense of togetherness: deep, prudent, discrete, delineated, with a few untold rules you’d better live by (I reckon this is true of any country you live in for a while, but strikingly so for the UK where a lot of things are untold, maybe the most important ones). This country did invent democracy, by the way, and one just has to participate in any general meeting whether of an association or else, to see it at work: consistent, orderly, patient, pragmatic.

So what’s the heck is going on? What is all this Brexit mess about? What kind of a show are we, European citizens, requested to watch? Is there anything for us to understand? Here is how I see it: in any circumstance but particularly in History, what is interesting is the story behind the story. In this instance, one'd better say the Tory behind the Tory.
Let’s have a look: A good story has a great title (Brexit? Wow!), an appealing beginning, a compelling plot within a suitable context, something to stick you in and make you believe it could be true. Moreover, a bestseller usually requires a good story A mixed with a strong B one and God knows this Brexit story IS a massive bestseller! Nothing less than a Fleet Street saviour.

As for the beginning of the story, it was not quite of the “happily ever after” sort and there was some worried looks on the fairies’ faces at the cradle. Anyway, when the UK joined the EEC in 1973 (take notice: not the EU at that time, this may explain that just a little), it was then massively thought that joining was a matter of national interest (2/3 vs 1/3). For at least two reasons. One was the prospect of the EEC becoming one of the biggest markets on Earth and surely an economy that vastly relied on trade would not want to be singled out, they had to be part of the show. The other was the near millennium long British tradition to keep any potentially dominating European power on a short leash. So, they joined and for decades they did all they could to mint the two sides of the coin their way: having a say on a massive market and having a no against any would-be political integration to keep the economic community as far away as possible from becoming a continental power. Hence, they had no genuine interest whatsoever into the European Project as designed by the “founding fathers” although they pretended so. Once inside, it was merely a matter of negotiation, as hard, as far, as long as they could to keep it their way. And one thing is for sure: the Brits have their way of negotiating. Anyone who’s gone into negotiation with them has experienced this particular way of theirs to strike a deal (talk about a story behind a story!). For decades, the EU has been a huge playing ground for them as it is nothing but a negotiation arena! This went on rather smoothly and gently and they worked it out fairly well. The European Project was shelved, the Union shaped as a trade one, so to speak and, whenever it disagreed, the UK could secure its very specific position strictly within the lines that were defined when they joined (the point here is not to list the specific advantages the UK got from the EU but if you had a look, you’d be stunned, the least not being the ones David Cameron pocketed when he hammered his Brexit wedge).

To summarize, story A is a divorce one, when the gap and frictions between untold original intentions become so wide that sleeping in different beds or even rooms is no longer a solution but separation (They invented divorce too, btw!).

To give it a bit more substance and delve into these untold intentions, let me share an experience I had when in the UK. I used to speak in a couple of business conferences and I remember far too well how the audience reacted to one of my speeches. As I enjoy a British first name, they could not spot I was French from the speakers list, so the first move I sensed when I started my speech was the audience being discretely startled at my not-so-discrete French accent (whatever you do, you keep that for life, my friend!). Then the attention got its momentum and I could feel a growing interest for what I was saying. Until disaster stroke: I used a typically continental alternative formula “either…or”. There I felt the attention disband and, like a desperate cook watching his flattened soufflé, got it all lost. Later in the day, I asked one of the participants what had happened. The answer has been a lifelong lesson to me. “You were telling interesting things, my young friend (yes, it was some time ago) until you got into this alternative of yours. We, the British, don’t thing that way. You’ll never get us caught into a two-sided alternative, there is always a third option at least, there HAS TO BE! For instance, about Europe, don’t ask us to be Europeans as you are or want to be! We’ll never be so. We can only stand on the border line, out AND in with you. We’re an island you know, and a merchant island as such. A merchant is a go-between, remember? So are we! We are a go-between the US or the RoW and the EU and if you admit this intermediate position of ours, you’ll make the best of us.”

Wow! So telling! No need to say I have valued this piece of information like a treasure ever since. From a continental perspective into this divorce story, this is as if you had married a girl or a man who wants to keep a couple of lovers at hand. Talk about misunderstanding!

 As for the plot, I would describe it as to secure long term national interest within the hectic, fierce, intertwined international ball game. Would you need anything more intense, more ruthless for a plot?

 If all this was not enough, here are a few ingredients that came timely to feed the dynamics and sharpen the drama line: Rising populism and nationalism everywhere, a few shameful simplistic pieces of domestic information junk, the so-called special relationship with the US aptly fueled by D.Trump, probable foreign interference (at least Russia), a United Kingdom vs a disunited EU as a negotiation line, the Norway model as an expected result, not withstanding internal political second thoughts (vs Labour and within Tories).

 Now the story B. Let me ask you a simple question: would you really believe a country that was shrewd enough to set up and execute the Fortitude operation during WW2 to make the Nazis believe the D Day landing would happen in Norway or near Calais, would become amateurish, shortsighted or even careless enough to call for a vote on Brexit without in-depth prior analysis and manoeuvre? I don’t. Matters of national interest are not dealt with the kind of improvisation we are made to believe. This is not possibly true. Don’t get me wrong! I don’t intend here to say this was all planned from the beginning. No. Politics are a matter of putting together the right intent with the appropriate dynamics, supported by proper circumstances so as to get the expected result. As you can see there is quite a bit of a leeway. C'est la vie! What I mean here, is you are dealing with professionals: the politicians themselves, their cabinets, advisers, intelligence services, you name it. The divorce issues and options have all been rightly considered. All of them, it cannot be otherwise. Including the Irish border issue of course. Would you imagine a treaty so important to the UK national security to be overlooked? You must be kidding. The plain truth is it has been considered and kept as a pocket piece, an escape route if things went the wrong way.

Brexit as it is told, is a complete set up. A gigantic historical set up, something like Ocean 28. For two years now, we’ve been witnessing a master game brilliantly and patiently being played,with all appropriate characters: the good, the bad, the fool and the ugly. Because the UK simply cannot lose: they have had all their options ready from the very start. They’ve been surprised by the referendum result as well as the EU negotiation line, yes that’s for sure but it had been considered and validated as an option because the gamble definitely was worth a try for their national interest.  As if in the divorce agreement, you requested access to the house in case of parties, as well as to the kids, the fridge and the bank account. Yes, I know, it happens sometimes.

If they don’t get a deal in line with their national interest, they have the option ready: they will not leave, pure and simple. Did you notice? All European representatives keep asking the UK to tell the world what they want. But they cant! It is impossible for them to tell their intentions aloud and the Europeans know this perfectly well! This is just another wedge, an excuse to bring them back to the referendum table and stop this nonsense.

 Now you can tell the ending: they actually will not leave.  As the attempted gamble failed, you’ll see a few hiccups, a lot of media noise and a couple of contradictory polls, then another referendum will eventually take place with the appropriate result and they merely will never have left Europe (They made perfectly clear from the beginning that they kept all their options open and could not be forced out). As required by their national interest.

End of story. Now, back to square one: what will happen with our marriage?