dimanche 8 novembre 2015

Salon du livre

Un salon du livre est une expérience que tout auteur se doit de connaître et, si possible, pratiquer, paraît-il. Je m'y suis donc essayé, oh, de façon modeste et mesurée: un petit salon de lecture, comme une petite pièce intime dans une grande maison, un salon local dont c'était la première édition.
L'expérience n'en fut pas moins instructive, plaisante et riche d'enseignements.
A dire vrai, il ne s'y passe pas grand-chose, du moins en apparence: on attend beaucoup et il faut une certaine capacité de silence et de tranquillité pour y jouir de l'instant. Et pourtant, là comme partout, des trésors sont cachés et des rencontres se nichent.
D'abord les gens passent, plus ou moins curieux et rapides, presque comme s'ils étaient dans la rue. Une sensation fugitive m'a traversé: celle d'être dans un zoo derrière des barreaux. Je l'ai laissé filer et me suis réfugié dans mes nombreuses expériences de vide-greniers où les vieilleries s'accumulent entre les passants et soi et c'est toujours une surprise de voir qui s'arrête devant quoi. Dans ce salon, combien de livres vivants, pleins de ceux et celles qui les ont écrits parmi combien de vieilleries?
En fait, ce qui me surprend dans les chalands, ce sont ceux qui déambulent sans s'arrêter. pourquoi sont-ils venus si ce n'est pour tenter la rencontre avec un livre ou deux, sans parler d'un échange avec leurs auteurs? A ce petit jeu, les femmes démontrent une approche nettement plus affûtée que celle des hommes: Est-ce une attitude mentale qui leur est propre ou, plus prosaïquement, l'habitude du shopping? Elles ont une attention ouverte et curieuse, la capacité de s'arrêter, explorer, prêtes à la rencontre. On les sent disponibles sans a priori, sans concession aussi, on devine que quelque chose est possible avec laquelle il ne faut pas interférer ou, du moins, au bon moment. Elles chinent tranquilles, ouvertes à ce qui pourrait se présenter, même s'il ne faut pas trop leur en conter. Je ne sais si elles sont plus détendues ou expertes à cette pratique, mais elles sont manifestement plus à l'aise que leurs homologues masculins. Les hommes quant à eux, ont un parcours plus direct et étroit, souvent là pour être avec leur compagne, comme il se doit. Bien rares ceux qui osent le regard, se laissent aller à feuilleter. Encore plus rares ceux qui croisent le regard avec l'intention d'un échange. Quelques uns s'y prêtent, il est vrai, mais la conversation devient vite technique: comment vous y prenez-vous, quel temps par jour y consacrez vous?
Dieu! Que nous sommes passionnants dans nos interrogations et nos façons de nous croiser!
En toute transparence, je dois dire que je m'y reconnais, ayant vécu cette expérience en perspective inverse lors d'une visite d'un salon du livre en Bretagne, cet été. Je m'arrêtais aux livres mais n'ai échangé avec aucun auteur. Je redoutais le boniment et surtout, je voulais découvrir l'auteur au travers de ce qu'il écrivait plutôt que par ses dires: Pour moi, la marque de l'écrivain, cela saute aux yeux, si j'ose dire, quand ce qui est écrit est plus vaste, plus grand, largement plus puissant que l'esprit, ou pire les névroses, de celui ou celle qui tient la plume. Donc, quand je lis, quand je feuillette,  j'attends le choc, j'espère être touché par quelque chose qui me bouscule et me laisse pantois si possible. J'attends un morceau d'immensité sous une forme ou une autre. Alors, si celui ou celle par qui cela est venu est présent(e), l'échange vient tout seul, même si ce n'est qu'un regard, une reconnaissance et un remerciement muets ou brefs.
En l’occurrence, dans mon petit salon, la vie m'a bien servi!
A mon arrivée, parmi les premiers, j'avais fait le tour des lieux pour m'en imprégner, en comprendre la géographie autant que l'énergie. Bien entendu, j'avais repéré où l'on m'avait placé et, bien entendu encore, n'avais pas été entièrement satisfait de l'endroit: ma table était située au milieu d'une allée où tout le monde allait passer sans jamais s'arrêter. J'avais identifié une autre table dans un angle avec beaucoup d'espace autour. Je m'étais alors imaginé que la foule, forcément nombreuse, pourrait y être à l'aise et je m'étais interrogé sur l'opportunité de changer de localisation tant qu'il était encore temps. Mon deuxième mouvement, celui que j'écoute toujours en l’occurrence, fut de faire confiance, de laisser la vie faire et de mettre en sourdine le sempiternel besoin de contrôle. Je me suis donc installé là où l'on m'avait placé et suis parti à la découverte de mes collègues auteurs autant que de leurs œuvres.
A parler franchement, il y a de tout dans ce genre d'événement. Beaucoup de retraités qui écrivent comme ils ont vécu, c'est à dire de façon prévisible, méthodique et organisée, des professionnels qui déballent tout un merchandising impressionnant pour attirer le chaland, des modestes et des impérieux, des hésitants, sans oublier, là au fond, un auteur de polars,immensément barbu et légèrement bougon. Plusieurs fois dans l'après-midi, je le verrai fourrager dans sa barbe, un peu perplexe et désœuvré.
Pour ma part, j'étais entouré par deux femmes, chacune exprimant dans ses livres une féminité différente, à la fois conquérante et interrogative, puissante et magnifique. J'ai pu, avec tout ce temps libre qui m'était donné, découvrir leurs bouquins et ils m'ont comblé. A ma droite, Lisa, mère d'un enfant handicapé, témoignait de ses espérances, de ses quotidiens multiples, de ses luttes, de ses peurs et de ses joies. Elle exprimait un amour maternel immense, d'une puissance à renverser des montagnes. Elle accueillait la douleur, partageait ses doutes, témoignait du chemin et son livre, qui se lisait comme un roman, se finissait bien. Son fils, maintenant un adulte dans la fleur de l'âge, est d'ailleurs venu la visiter par surprise, en fauteuil roulant, en glorieuse apothéose du livre qu'elle lui avait dédié. Ce livre, indiscutablement, était puissant, grand et donnait envie de la rencontrer, de lui parler, ce dont je ne me suis pas privé et nous avons passé quelques moments d'une belle humanité.
A ma gauche, Elsa, cheveux blancs coupés courts, était une tout autre femme. Sa poésie explosait d'une sensualité presque brutale, mise à nue. elle utilisait les mots et les images avec prudence, vivacité et justesse, qui forçaient le respect.  Son livre disait son corps, ses attentes, ses regrets et la douceur des émois qui l'habitait. Tout en pudeur et transparences. Ce petit bout de femme, plutôt menue, disait sa vérité qui était immense, parce qu'elle était bien dite et avec sincérité. Une vérité qui nous habite tous. Cette féminité-là est vibrante, touchante, tout autant: quand la femme se dévoile, se dit et partage, il faut écouter et veiller à ce que ce soit du bon endroit. Je l'ai remerciée pour ce qu'elle avait osé dire. Nous avons peu parlé mais beaucoup s'était dit.
Donc, du côté des auteurs, l'expérience fut belle. Du côté lecteurs, elle fut plus contrastée, mais également réussie.
Entendons-nous bien. Je n'étais pas là pour vendre, à la différence de quelques-uns de mes confrères, déjà cités, qui se transformaient en bonimenteurs de marché. L'un d'entre eux est même venu me dire, alors que je venais de conclure une conversation intéressante avec une visiteuse par la vente d'un bouquin, que j'avais réussi, moi, à lui fourguer quelque chose. Sans commentaire, il serait par trop désobligeant! L'avidité est, à mon sens, la plus sûre antidote au plaisir.
Des salons où l'on est présent pour vendre, j'en ai faits, plus que de nécessaire, dans une vie ancienne et déjà presque oubliée. Cette fois, j'étais là pour écouter, pour goûter.
J'étais là pour permettre la rencontre entre mes bouquins et les gens auxquels ils peuvent s'adresser, un peu comme un père va au square pour que ses enfants se fassent des copains et taper la causette avec leurs parents. Rendre possible la rencontre. La rencontre avec des gens qui s'interrogent, aiment l'aventure, l'histoire, la chose écrite, pour ce qu'elle est: quelque chose qui vous emporte, loin et le plus longtemps possible et vous fait revenir plus riche que vous n'étiez parti(e).
Et, de fait,  j'ai fait des rencontres, avec quelques-uns ou plutôt quelques-unes. Des lectrices touchées par le son de l'Emerveil, qui aiment la peinture et la musique et sont disposées à s'arrêter un temps pour en profiter autant que possible. Des lectrices éventuelles qui s'interrogent sur les choix qui s'offrent à nous dans l'instant et sont prêtes à l'aventure de l'Intérieur du Temps.
Je garde le souvenir du mari de l'une d'entre elles, au regard à la fois indulgent, détaché, quelque peu inintéressé, attendant que cela se termine et espérant que ce ne soit pas trop cher.
Je garde le souvenir de l'enfant qui collectionne les marque-pages. Et de la petite fille qui court et se cache sous les tables.
je garde le souvenir de ce monsieur légion-d'honoré arpentant les allées, mains dans le dos, sans jamais s'arrêter.
je garde le souvenir du joli dos, largement décolleté, d'une illustratrice dans sa robe à paillettes.
Et les familles qui arrivent après le café, restent peu et repartent pour le goûter.
Et le souvenir de ma conférence "rencontre avec l'auteur" en fin d'après-midi, où je me suis retrouvé en compagnie de chaises, dans une salle vide et froide.
Je garde aussi le souvenir de tous ces gens qui s'emparent d'un bouquin, vont directement à la dernière de couverture et lisent, lisent les quelques lignes pendant un temps qui n'en finit pas, comme en arrêt sur image, à me demander ce qui se passe dans leur tête. Pourquoi donc cela prend-il si longtemps? Un mot les a-t-il arrêtés, une phrase? Sont-ils partis en rêverie qu'il ne faut pas interrompre ou en interrogation à laquelle ils attendent qu'on réponde? Se demandent-ils simplement comment en finir?
Une rencontre entre un livre et son lecteur, c'est un peu comme démarrer un feu avec très peu de papier. il ne faut surtout pas déranger la petite flamme bleue et vacillante, ne rien bouger tant qu'elle est là, pour que le feu trouve son chemin et sa place. Combien de petits feux ai-je vu s'allumer et s'éteindre dans ce petit salon d'automne? Pas tant que cela mais suffisamment pour que l'expérience mérite d'être renouvelée. Même si je sais qu'elle sera à chaque fois différente.
Un salon du livre, ce n'est pas une fin en soi, c'est un moment, un commencement, de la matière surtout, pour écrire un bouquin sur nous, sur qui nous sommes, les rencontres que nous faisons, celles qui réussissent et celles que nous ratons.