vendredi 17 mai 2019

Aujourd'hui est un beau jour pour changer


"I had a dream", oui, pour paraphraser Mr King, j’ai fait un rêve, un cauchemar qui m’habite encore alors que je suis éveillé. Je me suis vu sur Terre dans deux cents ans. Êtes-vous prêts à me suivre ? à m’accompagner dans ces gorges sinueuses, profondes, ocres et vides comme martiennes, balayées par un vent brûlant et sauvage, là où nos lacs, même les plus grands, ont disparu ? Des éboulis de roches en équilibre instable marquent la place de nos glaciers et tous nos sommets sont des déserts d'altitude où la neige a fondu depuis longtemps, leurs flancs ravagés de coulées brutales de boue, de terre, d’eau et de roches qui ont tout emporté ? Et les océans gavés d’algues vertes, rousses et filandreuses, aux eaux tiédasses, putrides et toxiques où plus rien ne vit ? évidemment, pas une fleur, pas un insecte ni un oiseau. Les seuls animaux qui hantent ces lieux stériles sont quelques charognards qui se disputent des restes. Les arbres aux troncs brûlés sont des nains qui végètent et croupissent comme tout ce qu’ils abritaient. Plus rien ne monte vers le ciel, craignant de s’exposer, tout rampe, fatigué, changé en une mousse exubérante et prospère qui s’est emparée de tout. Suivez-moi encore et approchons des villes où ne déambulent que des cohortes de passants sur le qui-vive et soigneusement groupés, chacun avec son petit appareil respiratoire portatif comme devenu asthmatique, et tous, bien entendu, armés jusqu’aux dents ou ce qui en reste, tant les rues sont des bas-fonds glauques et surpeuplés où l’on s’étripe pour un rien. Voyez ces usines aux fumées noires et épaisses parce que plus rien ne fonctionne et qu’on y brûle n’importe quoi pour récupérer le peu d’énergie disponible ? Et partout cet air d’étuve surchauffée, poisseux et grisâtre, chargé de cendres et de poussières qui collent à tout ce qui dépasse et voilent le soleil, pâle disque jaunâtre, ombre de lui-même ? Et la puanteur partout, celle de tonnes d’immondices que personne ne ramasse, celle des gaz et des matières en lente décomposition. Un monde méphitique.



Voilà où nous en sommes, voilà ce que nous faisons. Si nous en sommes capables, regardons en face ce monde que nous créons pour les petits-enfants de nos petits-enfants. Osons leur dire : "je le savais, je n’ai rien fait". Ne nous cachons pas derrière "je n’ai rien vu venir", ce n’est pas vrai. Ne nous racontons pas d’histoire. Toutes celles que l’on diffuse et partage, nos craintes et nos soucis, nos projets et nos envies ne sont qu’à courte vue, à peine à l’échelle de nos vies et déjà, de notre vivant, nous voyons s’approcher les prémices de ce monde : les lacs qui se vident, nos océans de plastique, la forêt que nous déracinons quand nous ne la brûlons pas pour être plus expéditifs. Et toute cette biosphère exterminée. Inutile de se cacher derrière nos beaux raisonnements, nos sempiternels discours sur la loi du marché et l’inexorabilité de nos équilibres (it’s the economy, stupid !), la loi du plus fort et celle des nantis, ne nous reposons pas sur nos illusions et nos fausses espérances, comme par exemple les miracles à venir de la technologie qui vont nous sauver de tout ça.  Inutile de nous dissimuler notre manque de courage, notre incapacité à toucher ne serait-ce qu’un peu à notre confort presse-bouton. Inutile de crier aux Cassandre, aux chantres du malheur et aux mauvais prophètes. Le désastre est annoncé, mesuré, chiffré, c’est notre mode de vie, de pensée, de consommer qui l’engendre et le mène jusqu’à nous. 

La vérité est celle-là, qu’elle nous plaise ou non.

C’est cela le sujet et rien d’autre. De quoi pouvons-nous donc parler dans nos dîners, nos conférences, nos réunions si ce n’est de cette catastrophe annoncée ? De ce que nous avons fait, de ce qu’il reste à faire. De ce que nous pouvons entreprendre pour l’éviter ? (Imaginez un astéroïde en route vers la Terre. Vous parleriez d’autre chose que ce qu’il faut faire pour l’empêcher de frapper ?) Tous nous avons lu ou vu l’odyssée du Titanic, tous nous nous sommes gaussés de l’incurie du commandant et de l’aveuglement des commanditaires obsédés de record et convaincus de leur infaillibilité. Nous sommes cet équipage, nous sommes ce commandant et ces commanditaires, nous ne sommes pas que passagers. À nous de décider de changer de route et de choisir l’équipage capable de le faire. Pas demain, maintenant.

À présent voyons l’autre face des choses : je vous invite à deux voyages, l’un vers le grand monde, l’autre vers le petit.

Envolons-nous d’abord, quittons la Terre, projetons-nous dans l’espace, voyons-la de loin notre planète, cette bille bleue et blanche, verte et ocre, nimbée de son atmosphère diaphane et légère comme un voile de mariée. Un astronaute a dit qu’il était impossible à quiconque la voyait de loin de ne pas l’aimer, ce miracle de couleurs et de vies, hôte de centaines de milliards de petits êtres au milieu du grand vide intersidéral, glacé, invivable et hostile. Contemplons cette merveille que nous habitons et dont nous faisons partie. Ses équilibres, petits et grands, ne tiennent finalement à pas grand-chose, juste l’interpénétration des espèces et des cycles, la vie sous toutes ses formes y compris celles de la matière. L’incroyable aventure de la diversité à laquelle nous sommes invités depuis des millénaires, cette vie qui nous porte. N’êtes-vous pas touchés au fond de votre âme par cette beauté, cet émerveillement toujours renouvelé, tout ça sur cette boule infime, en équilibre dynamique, penchée autour de son étoile ? La sentez-vous vivre, là maintenant sous vos pieds ?
Suivez-moi à présent au cœur du petit monde, il faut fouiller un peu, vaincre des résistances, s’allonger par terre et ne plus bouger, regarder sous les herbes, entre les fougères, sous les feuilles au pied des arbres ou sur les berges d’un ruisseau. Sentez-vous cet affolement de couleurs, de senteurs et d’odeurs, ces petits peuples qui grouillent, vaquent et se croisent, la vie qui rampe, vole, sautille et ondoie. Tout ce monde très occupé à ses affaires auxquelles nous ne comprenons pas grand-chose mais qui, quelque part, est la continuité de ce que nous sommes.

Voilà aussi où nous en sommes, voilà ce que nous partageons, voilà ce que nous détruisons.

Vivre et aimer tout cela ne vaut-il pas mieux, mille fois mieux que notre quête imbécile du profit, de la croissance à tout prix, mieux que nos salaires aussi indécents quand ils sont insuffisants pour vivre que quand ils sont démesurés, où la seule question alors devient que faire de tout cet argent ? n’est-ce pas proprement sidérant de savoir qu’un infime pourcentage de nantis possèdent autant de richesse que la moitié de l’humanité ?

Une vie autre nous appelle, une vie autre nous attend. C’est à nous de choisir, ici et maintenant. Continuer comme toujours, dans notre course inutile et mortifère vers le néant, ce Titanic terrestre où chacun de nous est capitaine, accepter cette fatalité dans tous les sens du terme, laisser venir la mort et avouer notre impuissance. (il y aura toujours des cyniques pour dire qu’un autre monde renaîtra tel le Phénix de ses cendres, ou qu’eux-mêmes ou leurs congénères s’en sortiront toujours. À ceux-là, je répète qu’il est très difficile de se protéger du malheur, il trouve toujours un endroit où frapper et que c’est aussi de leurs enfants qu’il s’agit).

Ou au contraire, serons-nous capables de mettre nos talents ingénieux, notre enthousiasme d’humains, notre génie industrieux, nos arts, nos idées, notre allant, notre jeunesse, notre passion, nos intelligences et nos joies au service d’un futur que nous décidons tout autre ? Serons-nous capables d’agir chacun là où et telles que nous sommes, de saisir les opportunités et de nous mobiliser tous pour maintenant, décider de changer le cours des choses. 

Nous pouvons le faire, c’est maintenant ou jamais en ce qui nous concerne. Nous pouvons choisir l’intense jubilation de nous sentir participer du vivant, collaborer avec toutes les espèces que notre Terre abrite, en continuité avec elles au cœur des équilibres, inventer un jeu nouveau où c’est la grâce des choses qui compte. Oui, nous pouvons sentir la joie de participer du vivant, être en symbiose avec lui. Voyons-nous attentifs, alertes, prudents, responsables, à notre place et respectueux de ce qui n’est pas nous, au lieu de laisser nos pulsions, nos désirs et nos envies nous faire croire que nous sommes ces prédateurs avides et sans retenue que, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons cessé d’être.

Oui, aujourd’hui est un beau jour pour changer. 


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