dimanche 10 janvier 2016

Religions, Tout & Rien

Comment aborder ce sujet autrement qu'avec des points d'interrogation?
Sans doute n'y aura-t-il dans ce qui va suivre rien à croire ni comprendre ? La simple expérience de laisser libre cours à ce qui vit en moi, à tous les questionnements qui collent à cette sensation d'être? Un cheminement fait de questions comme des pas sur le sable ou la neige: c'est quand on les regarde, quand on observe leur trace qu'on comprend la direction qu'elles prennent. Ou les errements qu'elles racontent.
Laisser venir les réponses dans ce qui est vécu plus que dans ce qui est dit.
Aucune vérité assurément, si l'on peut dire.

Et si ce que nous vivons aujourd'hui, ces tempêtes de religiosité figée dans des dogmes mal compris, ces monstruosités d'intolérance tortueuse en même temps que ces déserts d'incroyance stérile et vaine qui se croient seules vérités, se croisent et se confrontent, si tout cela était une évolution nécessaire de nos modes de pensée et de nos croyances les plus profondes?
Et si ce passage, qui semble inéluctable, par l'écroulement de nos ordres établis et de nos modes de vie, par la décrépitude de nos certitudes, était nécessaire pour que soit fait table rase des croyances du passé, dépassées, ineptes et inadaptées aux temps qui viennent? Et si tout cela était nécessaire pour remplacer nos fois, nos vérités et nos croyances par une conscience, une science renouvelée, libre elle aussi de ses dogmes, à la fois nourrissante, jubilatoire, inoffensive et belle? Et résister à la tentation, encore, de reconstruire, de fabriquer à nouveau des vérités tangibles, des vérités à croire coûte que coûte, des vérités qui fabriquent le réel au lieu de laisser la réalité nous raconter son histoire et nous émerveiller comme des enfants à l'heure du coucher?
Et si le temps des vérités toutes faites était enfin révolu? Si le temps d'une conscience TOTALEMENT NOUVELLE était arrivé, un temps inconcevable tant il diffère de tout ce que nous avons connu, vécu jusqu'à présent? Une rupture telle dans l'histoire que se souvenir ne servirait à rien, qu'à nous égarer à nouveau? Comme si les religions elles-mêmes avaient rempli leur office, aussi bien, aussi mal que possible? Comme si l'expérience religieuse avait montré ses limites, tant le monde qui s'est bâti autour d'elle a abouti aux antipodes de ce qu'elle était sensée révéler?

Et si le temps des religions était enfin dépassé? Des religions qui auront passé leur temps, auront parsemé le temps qui nous a été donné de vivre, à nous faire déambuler entre vérités qui se détruisent les unes les autres, entre fanatismes de tous ordres, désintérêt ou désillusion, pratiques discrètes et néanmoins profondes ou questionnements salutaires? A y regarder de près, n'y aurait-il pas une différence finalement insignifiante entre nos prêtres, rabbins, pasteurs, popes, gourous de toutes sortes et les mages, les prêtres et les chamans des temps préhistoriques? Combien d'entre eux nous ont aidé à déconstruire le réel au lieu de le renforcer? Combien d'entre eux ont fait fi des pouvoirs que la fréquentation de l'invisible leur avait conférés pour ne les utiliser que de façon discrète et mesurée? Combien d'Hafiz et de François d'Assise? Combien d'entre eux ont participé à l'ouverture des consciences plutôt qu'à leur direction et leur mise sous tutelle forcée? Et pourquoi parlé-je au masculin? Combien de femmes ont, elles aussi, accédé à ces vérités qui nous mettaient sur la voie du vrai, que nous avons ignorées, pire pourchassées, condamnées et sacrifiées sur l'autel de croyances dominatrices et sommaires?

Comment démêler le réel du reste,comment se réveiller? Distinguer le réel intemporel, une réalité vraie qui soit indépendante de nos histoires sociales et culturelles, comment s'ouvrir, se laisser accéder, toucher, transformer par ce réel vrai, tellement discret qu'il semble un chuchotement au milieu des clameurs et des feux d'artifices? Comment se laisser guider au travers des méandres de ce qui nous a été transmis, comme une marche sans outil, sans repère et sans arme au travers d'une friche dense, restes inextricables d'une forêt plantée jadis et où il nous est demandé par quelque injonction intérieure, de reconnaître la nature, le terrain, la beauté et la simplicité de l'origine?

Comment réussir à s'interroger et à formuler des vérités nouvelles et anciennes tout à la fois, sans que l'intellect, cette forme farouchement rétrécie de l'esprit, sans que l'ego, cette forme nécessairement réduite de l'être, s'interposent et nous égarent? Comment retrouver l'unité au milieu de tant de diversité? Quel chemin nous est-il ouvert pour accéder à cette immense magnificence, ce débordement fou d'intention primordiale, cette réalité inconcevable, au delà de toute possibilité de mesure, première, diffuse et contenue dans le rien? Oh! Comment l'aborder sans pouvoir la nommer? Comment la concevoir sans lui donner de forme, ni rien de ce qui nous ressemble, rien de ce qui nous rassure? Juste ce qui nous anime au delà de nos pulsions, de nos rêves et de nos envies, de nos certitudes et de nos frontières?

Oh! Les religions, quelle responsabilité portent-elles à la fois dans l'égarement, les erreurs et les crimes des hommes, dans le façonnage parfois brutal de nos pensées et de nos actes, dans nos divisions mortelles, cette partition invraisemblable de l'unité que nous sommes, entre ce qui est bien, toléré, recommandé et ce qui ne l'est pas, entre ombre et lumière? Et dans le même temps, quel crédit devons-nous leur accorder pour ce qu'elles nous donné, ce baume continu sur nos plaies intérieures, pour ce qu'elles nous ont transmis comme ébauche de vérités sur nous-mêmes, pour cette réalité qu'elles nous ont donné à deviner, enfouie derrière le galimatias des dogmes, des rituels et de formalismes abscons?

Pourquoi est-il demandé aux êtres humains que nous essayons d'être, de faire la part, jour après jour, génération après génération, entre ce qui est réel et ce qui est illusion? Entre les rêves et ce qui les porte? Combien d'hommes et de femmes sont passés, ont écrit, parlé, proclamé, transmis ce qui  leur avait été donné de percevoir, entr'apercevoir et le peu qu'ils et elles ont vu était si éblouissant qu'on y risquait de perdre jusqu'au sentiment de vivre? Et ce peu qu'ils avaient reçu était déjà tellement exaltant, impensable de puissance et d'amour inconcevables, tellement démesuré que ce qui nous en reste semble déformé, difforme presque, tant il est impossible à partager?

L'impuissance de l'esprit a quelque chose de pathétique. Je me fais l'impression d'un mécanicien qui tente de démonter un moteur, équipé d'un seul marteau. C'est impossible à faire à moins de tout casser. L'énigme reste donc entière, douloureuse presque et immense à l'intérieur de si peu. Le moteur garde son secret et il nous faut vivre avec, quotidiennement, avec patience, résolution.

Si seule l'expérience de vivre a un sens, l'interrogation est alors inutile, tout comme les certitudes. Il faut vivre, simplement. Jouir du vivant comme d'un cadeau qui nous serait donné et auquel on ne comprendrait rien. Un cadeau encombrant et qui prend beaucoup de place dans la pièce. Vivre l'expérience, vivre le voyage entre les vérités que nous nous sommes construites et les questions qui les dépassent, en font des certitudes fragiles. Accepter la relativité du monde, envisager la probabilité du vivant et la multiplicité des univers possibles. Accepter que l'esprit ne soit pas grand chose et que seule la conscience compte, comme un marionnettiste tire les ficelles mais sait que, d'un jour à l'autre, il sera remplacé par plus savant que lui, plus grand que lui, plus mystérieux que lui. Différent de tout ce qu'il aura pu connaître. Une tout autre histoire.

Ce qui serait extraordinaire dans l'histoire des hommes, notre histoire, serait que tout le monde ait raison. Tous autant que nous sommes: ceux et celles qui prétendent qu'il y a quelque chose à l'origine de tout, autant que ceux et celles qui prétendent qu'il n'y a rien. Tout est vrai et c'est sans doute ce qu'il y a de plus difficile à accepter.
Comment nous, les voyageurs qui nous sommes mis en route il y a si longtemps, pourrions-nous aborder le rivage de ce qui "serait sans être" (le conditionnel prend ici un sens particulier et tout à fait délicieux), ce qui serait avant l'origine autant qu'après la fin (comment appréhender ce qui précède et succède à tout?). Ce qui vit dans tout ce qui est vivant autant que ce qui est inerte, ce qui crée au delà et en deçà de toutes nos inventions, serait-ce comme un soleil éblouissant mais invisible derrière des nuages aux dimensions infranchissables? Une lumière tamisée, continue, partout et sans ombre, une chaleur diffuse dont il est bon de s'approcher, de se laisser toucher?
Une façon d'y aborder sans irrémédiablement faire naufrage nous est offerte par la science: par exemple, l'univers est en expansion, tout le monde l'admet. Mais combien d'entre nous se sont demandés dans quoi? Quelle serait le substrat dans lequel cette expansion prendrait place? Quelle serait la frontière? Au-delà du temps qui semble la limite vérifiable, il se pourrait que ce soit le rien: nous baignerions dans le rien. Au delà de l'univers, il n'y a rien, ni avant, ni après.

A la fois quelque chose et rien.
Tout et rien, tant qu'à faire.
Lumière et obscurité.

Le tout contenu dans le rien (et réciproquement), la lumière qui accepte l'obscurité comme  négation absolue d'elle-même n'est-ce pas l'exemple ultime d'un absolu sans certitude, un être ayant intégré jusqu'à la possibilité de ne pas être?  Une présence en même temps qu'une absence? Et une tension insupportable entre les deux?
Quelque chose qui ressemblerait à l'amour?

Une possibilité silencieuse, un amour incommensurable entre l'être et le néant, au delà des espaces et du temps? Un amour inconditionnel et sans finalité. Serait-ce cela la source de tout ce qui nous est donné de vivre? Une interrogation pleine d'une joie profonde, sans inquiétude mais avec force, sans réponse aussi? Jusqu'à quel point sommes-nous capables de vivre un monde en question sans qu'il nous soit possible d'y apporter des réponses?

Tout ne serait finalement qu'un état potentiel, le seul état possible entre rien et quelque chose? La vie ne serait alors que ce qui est possible quand tout affirme que ce ne l'est pas? la création ne serait que cela? Une invraisemblable expérience du possible?
Alors ce qu'on nomme le divin serait à son tour une invraisemblable expérience du conscient entre le tout et le rien?

Ah! la conscience! C'est le plus grand mystère de la création! Peut-être sa réalité ultime? A qui est-elle donnée et pour quoi en faire? Quelles consciences multiples habitent les pierres, les oiseaux, les arbres? J'ai vu un jour un arbre dont je savais sans l'ombre d'un doute qu'il était un roi, un sage. Folie peut-être?
Quelles consciences multiples habitent-elles l'humain, et comment se croisent-elles? Est-il utile, nécessaire, prévu peut-être que cette infinité de niveaux de conscience que l'on constate autour de soi, dans le monde, soit le ferment indispensable de la création? Est-il possible que la multiplicité des états de conscience soit comme ce dont il nous est donné de témoigner au fin fond de l'espace: des ensembles dynamiques, harmonieux entre systèmes, galaxies et amas, des étoiles en naissance ou à la fin de leur histoire? Une gravité à laquelle nous ne pouvons échapper et qui tord jusqu'à notre perception de la lumière? Une conscience éclatée, à la recherche d'elle-même ou pleinement satisfaite d'être? Et tous ces niveaux de consciences évoluent-ils? Convergent-ils? Sont-ils comme attirés par un état ultime qui les attend? Il semblerait que oui, mais qui suis-je pour l'affirmer?
Ou peut-être est-ce justement le contraire? Une conscience qui fuirait indéfiniment son unicité primordiale pour se contempler dans la multiplicité, sous toutes les facettes possibles? Au risque de s'y perdre?
Ou peut-être rien entre ces deux extrêmes, une conscience immobile, éternellement pleine de tous ses possibles, entre rien et tout, dans laquelle nous nous agiterions sans cesse?

Alors? Alors? Ce choix que nous faisons entre mal et bien, ce choix que nous nous imposons entre certitude et interrogation, cette tension qui nous habite pour faire évoluer le monde, ce gymkhana insensé entre des visions multiformes, antagonistes, hostiles presque de ce que pourrait être le monde, cette quête épuisante d'une vérité, ferait-elle partie du jeu?  Ne serions-nous finalement que des agents agités, des vecteurs involontaires de cette quête impensable de l'intention première vers la compréhension et la contemplation de soi?

Serait-ce cela être vivant? La possibilité, la nécessité peut-être de choisir, d'orienter sa version propre, dérisoire mais tellement essentielle du sentiment d'être entre ces deux réalités: faire le choix des certitudes, de la conviction de la réalité du monde, de ses règles, de ses lois, de ce qu'il est possible d'y être et d'y faire? Ou faire le choix de l'interrogation, de la question perpétuelle, le besoin de comprendre et d'expliquer. Ou encore toutes les combinaisons possibles entre ces deux réalités potentielles? Etre explorateur, artiste ou marchand? Philosophe, fou ou roi? Militaire, juriste ou révolutionnaire? Tortionnaire, docteur ou patient?
Chacune et chacun de nous vivons sans doute notre propre réponse à ce besoin de synthèse, un équilibre unique entre deux réalités premières, un équilibre qu'il nous est possible de faire évoluer, demandé peut-être? La vie, cette expérience que nous faisons dans ce que nous appelons la succession de jours et de nuits, serait-elle ce voyage entre certitude et interrogation? Un voyage qui ne nous mènerait nulle part, à rien, dans toute l'immensité et l'absurde impossibilité du rien, mais dont toute la valeur naîtrait dans la réalité du voyage?
Le sentiment d'expérience. Etre ne serait-finalement que l'expérience, ce déplacement d'une réalité vers une autre, un état, un degré de conscience vers un autre?

Cette existence délicate et infime entre certitude et interrogation serait-elle la nature profonde de ce qui nous anime de tout temps? La trace de l'origine et de la fin en nous? Serait-ce là le chemin invisible et ténu, la trace sur le sable et la neige, la trace ultime si j'ose dire, au tréfonds de l'absolu sentiment d'être et du doute tout aussi absolu d'être?

La nature de cette puissance créatrice et incommensurable serait-elle emplie de cette double réalité, consubtantielle à la création même? Aimer et s'interroger sur l'amour, être et interroger l'être, créer et interroger sa création? Projeter et questionner la finalité?

Un point d'interrogation gigantesque.

Si c'était cela le vivant, ce serait insupportable. Proche de la supercherie. Remplacer un dieu exigeant et vengeur par une déité au narcissisme monomaniaque? Non merci.

Il doit y avoir autre chose derrière tout cela. Chercher, explorer encore! Se laisser toucher, si possible, par une vérité plus grande encore, plus essentielle à tout cela. Se laisser donner une clé pour ouvrir ce qui serait une autre porte, une autre frontière au tréfonds de ce que nous sommes, au delà de toute apparence et de toute forme pensée.

Je pressens que c'est autour de l'amour que tout se joue, je sens qu'il y a dans cette force irrépressible, dans cette tension sublime, la réponse à toutes ces interrogations. Je pressens que cette réponse est tellement immense, tellement invraisemblable qu'il n'est pas donné à l'esprit de la formaliser et de la concevoir. L'amour est une dimension ultime à laquelle on ne peut accéder que par son parfum, un souvenir, une évocation, une forme amoindrie, suffisamment dégradée pour la ressentir, la connaître sans nous mettre en danger. L'amour serait ce niveau, cette énergie surhumaine dont nous ignorons tout et certainement l'essentiel, dont nous ne comprenons pas grand chose en dehors de ce qu'il nous est donné d'éprouver et de renouveler sans cesse. Avec délice. La puissance incommensurable de l'amour est ce qu'il nous est donné de parcourir, découvrir dans toutes les dimensions de la création, celles qui nous sont accessibles et toutes les autres. L'amour ne passe pas par l'esprit. Ses voies sont autres, c'est lui qui nous guide vers le Merveilleux.

Alors le chemin s'éclaire, passant de l'obscur et du monde en questions sans fin, au Merveilleux, la félicité sans frein. C'est l'amour qui nous donne la vraie dimension des choses.

Ah! S'il était possible de remplacer nos certitudes  et nos questions sans réponse, s'il était possible de dépasser nos interrogations continues,  s'il était possible d'expérimenter l'amour au lieu de nous complaire dans l'objet, alors nous ouvririons la porte à la possibilité du Merveilleux. Nous serions tous des voyageurs, nous fabriquerions un monde d'exploration et d'émerveillement, un monde d'enfants insatiables et reconnaissants, au lieu qu'il ne soit que le théâtre borné de nos vérités, de nos chimères et de nos insuffisances.

S'il était possible de remplacer notre perception des autres comme autant de menaces pesant sur ce que nous croyons être par des opportunités bienvenues,  nous vivrions un monde tout autre, un monde en mouvement et redimensionnement perpétuels, un monde sans certitude, un monde où seul l'instant serait une vérité magnifique qu'il serait possible, nécessaire, indispensable de partager pour en jouir davantage. Peut-être le monde serait-il alors un miracle renouvelé si fréquemment, si rapidement, qu'il serait impossible de se souvenir, de garder en mémoire un seul moment qui nous serait apparu si beau, tant d'autres lui auraient succédé, tant d'autres se seraient superposés, plus beaux encore.

Et son règne n'aura pas de fin.

Cette perception nouvelle du monde à la fois éphémère et sublime, est si forte, si puissante, qu'elle semble ne pouvoir être que fugace, tant l'esprit peine à se l'approprier. Tant l'esprit redoute de s'y perdre.Tout ce qui est tangible s'y dissout comme un rêve qui s'efface et dont on peine à se souvenir.

Seule la conscience reste.

Un monde de conscience émerveillée où la matière se rétreint, s'amenuise, comme paillettes autour d'un regard. Un monde illuminé d'amour, parce que les poètes ont raison qui le chantent sans cesse et sous toutes ses formes: au bout du décompte de nos jours et de nos nuits, de nos heurs et de nos malheurs, au bout du compte de nos vies, c'est de lui qu'il s'agit. C'est lui qu'il nous est donné de découvrir, et par lui qu'il nous est demandé de nous laisser guider.

C'est lui qui nous conte l'immensité qui se déploie dans ces espaces qui n'en sont pas.

C'est l'amour que je suis.

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